Le "choc de simplification", un cheval de Troie contre l'environnement
Parce qu'il y aurait trop de normes, (« 400 000 ») que certaines seraient « ridicules ou un frein à l'activité », le gouvernement annonce un grand nettoyage. Problème, ce coup de balai fait une victime de poids: l'environnement
Une supercherie, une ruse, un attrape nigaud, voilà comment nous qualifions le rapport remis au gouvernement et qui porte le titre de « rapport de la mission de lutte contre l'inflation normative ».
Ce rapport est là.
Un rapport très discutable
On s'explique. Si l'on demande : « Existe t'il trop de normes, de contraintes » ? La plupart des personnes répondra oui. Répondront oui tous ceux qui y ont un intérêt personnel, comme tous ceux qui pensent en général que « 400 000 normes » (c'est le chiffre donné dans le rapport) ça fait beaucoup.
Ce raisonnement entraîne logiquement pour corrélat d'examiner ces normes et ensuite de voir ce que l'on peut faire. En principe, cela est réalisé avec des personnes de différentes compétences.
Ce n'est pas ce qui est fait dans ce rapport. Il propose directement, sans examen, de s'attaquer à certaines normes et de les supprimer. Tout est à charge. C'est à croire que ceux qui ont édicté les règlements l'ont fait en dépit de tout bon sens, de toute expérience.
D'une façon générale ce rapport est très discutable. Il ne se trouve aucune référence scientifique dans la bibliographie, mais uniquement des articles de presse. La consultation des associations en dit long sur les préoccupations des auteurs, y figure la Fédération Française de Football mais aucune de défense de l'environnement.
Romain Ecochard, juriste en droit de l'environnement, montre en quoi ce rapport est copié et bâclé. Son article est ICI: ("Le-rapport-boulard-sur-les-normes-copié-et-bâclé").
Si l'on prend l'exemple de l'environnement, les auteurs du rapport en modifient des aspects tellement importants que les « bétonneurs de tout poils » ont de quoi pavoiser. On y reviendra dans le détail, mais il faut savoir que sont visées:
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les compétences environnementales qu'on enlève aux DREAL (Directions Régionales de l'Environnement, de l'Aménagement, et du Logement)
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le principe de précaution pourtant inscrit dans la constitution,
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le Grenelle 2 et autres « broutilles » de ce niveau .
" L'Environnement, ça commence à bien faire "
Au fait pourquoi l'environnement ? Il n'y a aucune réponse dans le rapport, mais gageons que les auteurs sont sur la ligne « l'environnement ça commence à bien faire » (Nicolas Sarkozy au salon de l'agriculture en mars 2010).
Alain_Lambert (ancien ministre de Jacques Chirac, délégué au budget) et Jean-Claude_Boulard (PS) ,les deux élus qui signent ce rapport, ont l'habitude de faire passer des mesures. Là, de leur boîte à outil ils sortent deux trucs imparables, l'humour et l'évidence. Ainsi Pierre Dac et Plantu sont conviés, quant à l'évidence on se moque par exemple "des normes sismiques dans une région où il n'y a jamais eu de tremblement de terre ".
Les auteurs veulent faire rire avec la "norme saucisse" ou autre plaisanterie du même genre, mais cela ne nous fait pas rire. Pour deux raisons, ce ridicule d'aujourd'hui ne l'était pas hier (la norme sur les produits dans les cantines scolaires date du 30 septembre 2011) et il y a une logique à l'origine de toute norme, logique qui est masquée.
Plus fondamentalement, cette façon de tourner en ridicule certaines obligations est au service d'une démarche très réactionnaire: en arrière toute ! Car lorsqu'on regarde ce qui est proposé, on voit les dangers et les problèmes.
"L'INTERPRÉTATION FACILITATRICE DES NORMES" (L'IFN)
Et ça a déjà commencé. Une note étonnante signée du premier ministre se trouve en page 12 du « rapport de la mission de lutte contre l'inflation normative » . Elle a été aussitôt reprise par le gouvernement et envoyée le 2 avril 2013 aux directeurs d'administrations centrales, aux préfets, aux directeurs d'établissements publics nationaux.
Voici la note: « A l’exception des normes touchant à la sécurité, il vous est désormais demandé de veiller personnellement à ce que vos services utilisent toutes les marges de manœuvre autorisées par les textes et en délivrent une interprétation facilitatrice pour simplifier et accélérer la mise en œuvre des projets publics ou privés.»
Une expression nouvelle apparaît: l'interprétation facilitatrice.
L'interprétation facilitatrice, c'est quoi? Voici la définition qu'en donne le texte des deux élus: « Entre l’application stricte d’une norme juridique et l’erreur manifeste d’appréciation, se trouve le pouvoir d’appréciation facilitatrice. » (p13).
Ceux qui connaissent « en bloc et en détail... » la vie politico administrative ont compris. Cela signifie s'asseoir intelligemment sur les règlements et les règles.
C'est pas clair?
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Voici un exemple pris dans le rapport: "Dans le cas d'aménagement urbain ou rural ayant des conséquences sur des éléments de flore ou de faune protégée, il est clair que selon les mesures de compensation imposées, les conditions de réalisation de l’aménagement ne seront pas les mêmes. Une interprétation stricte des normes de protection peut conduire à des surcoûts, des retards et même un abandon pur et simple.
... à partir d’une appréciation facilitatrice, des mesures raisonnables de compensation peuvent sauver le projet. »
Une compensation qui n'en n'est pas une et qui a déjà commencé: "je te troque de la terre arable contre des cailloux " pour faire arbitrairement des surfaces agricoles, (voir les "Plan Local d'Urbanisme" des communes rattachées à la métropole de Nice Côte d'Azur). Si ce rapport est appliqué, cela va s'accentuer et aura l'aval des autorités.
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Un autre exemple? Le domaine de l’étude d’impact.
Aujourd'hui voici ce qui se passe "En vertu de l’article R.122.3 – I du Code de l’Environnement, pour les projets relevant d’un examen au cas par cas, en application de l’article R. 122-2, l’autorité administrative de l’État compétente en matière d’environnement, définie à l’article R. 122-6, examine, au regard des informations fournies par le pétitionnaire ou le maître d’ouvrage, si le projet doit faire l’objet d’une étude d’impact. "
Et demain? "Selon que l’autorité chargée de l’application de la norme en fera une interprétation stricte ou facilitatrice, le sort réservé aux projets sera différent." (p 14)
DREAL, GRENELLE 2, PRINCIPE DE PRÉCAUTION etc.
SUS À "L'INTÉGRISME ÉCOLOGIQUE"
Il y a une cohérence entre les règles environnementales, l'autorité qui veille sur elles, et les textes sur lesquels elles s'appuient. Il faut démanteler tout cela.
L'autorité, ce sont les DREAL, on ne veut plus de cette autorité là, qui pourtant est un service d'Etat. Alors on veut leur enlever tous pouvoirs pour les donner aux préfets.
Le passage page 20 est on ne peut plus explicite:
« En cohérence à notre proposition tendant à donner au Préfet du département le rôle d’interprétation des normes, nous conseillons vivement que la compétence en matière d’avis et d’interprétation sur les normes d’environnement, d’urbanisme et d’aménagement de l’espace soit transférée des DREAL aux Directions Départementales du Territoire.
Nous avons également rencontré un intégrisme normatif dans le domaine de l’environnement qui n’est pas le fait de l’écologie politique, mais celui d’associations environnementalistes relayées par les DREAL qui mettent au service de l’interprétation rigoriste des normes, la bureaucratie."
Plus loin c'est le Grenelle 2 qu'on veut faire passer à la trappe:
"Il n'est peut être pas politiquement incorrect de conseiller de revisiter Grenelle 2 non pas au niveau des objectifs, mais des modalités d'application. "
Grenelle 2, c'est quoi? 248 articles composent cet important texte de loi. Ils déclinent des mesures dans six chantiers majeurs : Bâtiments et Urbanisme, Transports, Energie, Biodiversité, Risques, Santé, Déchets, (...)
Et puis tant qu'on y est, supprimons aussi le principe de précaution pourtant inscrit dans la constitution.
"Face au principe de précaution, il est urgent de réhabiliter le droit au risque, condition du progrès scientifique et technique, des innovations qui impliquent toujours des transgressions et des explorations hors normes. "
Précaution (sous-entendu, peur, replis) contre goût du risque (sous-entendu, courage, avancées). Faut-il rappeler aux auteurs que cette notion vient d'expériences malheureuses et graves comme le sang contaminé ou la vache folle,?
En fait nos auteurs sont courageux pour démanteler. Voici quelques pistes qu'ils lancent.
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Pour les fouilles archéologiques, l'intérêt archéologique ne prime plus,
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Les études d'impact sur les ZAC sont à supprimer (p 49)
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On parle de "risque d’usage abusif des ZNIEFF par les interprètes intégristes," (Zone_Naturelle_d'Intérêt_Écologique,_Faunistique_et_Floristique)
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Et on s'en prend aux " trames vertes et bleus " (p 48)
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Quant aux mâchefers produits par les déchets incinérés qu'on ne pouvait plus ré- utiliser en "technique routière" (c'est à dire en revêtement), il est proposé d'abroger l'arrêté qui interdit cet usage (p 56). Peu importe ce qui a généré cet arrêté, entre autres: la toxicité du produit.
Nous cessons l'énumération non sans constater, en pleine affaire Cahuzac, et en plein doute sur la moralité de nos "élites", que ces deux élus n'oublient pas de demande "l'allégement des directives pour les marchés publics" et l'abrogation de l'arrêté du 12 décembre 2012 qui permettait un plus grand "contrôle des emprunts des collectivités locales" (p 61).
LE RECOURS AUX ORDONNANCES
Comme on le voit, c'est une véritable régression qu'appellent de leurs vœux nos deux rapporteurs. Et pour aller vite, éviter tout débat, toute participation des contre- pouvoirs qui font l'âme de la démocratie, ils appellent à l'utilisation des ordonnances:
"Le recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution est la seule procédure permettant rapidement et pendant une période de temps limitée de mettre en œuvre de façon significative un traitement du stock par abrogation, allègement, simplification, adaptation. " (p 30)
Nous l'avons écrit en préambule, peut être faut-il travailler sur notre appareil normatif, mais ce n'est pas ce qui est fait là. Il y a danger à laisser faire cela. C'est tout simplement 30 ans de travail dans le domaine de l'environnement qu'il est proposé de supprimer. Au nom de la crise qu'on affronte bien sûr.
Petit rappel: le montant de l'évasion fiscale est évalué, en France, à 50 milliards par an. Il existe depuis plusieurs mois (juillet 2012) un rapport du sénat sur l'évasion fiscale dans lequel sont formulées 61 propositions. Ce rapport a été adopté à l'unanimité de la commission (gauche et droite confondues). Lire blogs.senat.fr/evasion-fiscale/
Qu'attend le gouvernement?
Ce doit être probablement plus facile de s'attaquer à la faune à la flore, à la biodiversité...
Pour aller plus loin
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LE CHOC DE SIMPLIFICATION
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DREAL