Les Français et le "personnel politique": un divorce salutaire ?
64% des Français pensent que la classe politique est corrompue, et 42 % que les choses vont empirer. Et cela avant toutes les « affaires » qui sortent, et les autres qui vont « sortir ».
Associations, ONG, se mobilisent et établissent des règles de conduite. Pas sûr que cela suffise, car pendant ce temps, il est question d’assouplir la loi concernant la prise illégale d’intérêt.
Sondages, enquêtes d’opinion, taux d’abstention, tout le confirme : les Français ne font plus confiance au « personnel politique »
Jamais on n’avait atteint ces scores de méfiance. Voici quelques chiffres cités par l’ONG "Transparence Internationale" section France.
POUR 73% DES FRANÇAIS,
LA CORRUPTION, C’EST LE PROBLÈME MAJEUR
Ces chiffres mesurent le niveau de perception des Français et non pas la réalité de la corruption
- Sondage "Institut Viavoice" des 1 et 2 juillet 2010 : 64 % des français estiment leur classe politique « plutôt corrompue ». Evolution historique (source Sofres) : ce chiffre était de 38% en 1977, 46% en 1990, 65% en 1991 (effet des affaires impliquant le Parti Socialiste) et de 58% en 2002.
- Sondage Eurobaromètre, publié en novembre 2009 par la Commission Européenne : 73% des français estiment que la corruption est un problème majeur dans leur pays (contre 65% en 2007)
- Sondage Transparency International : les Français désignent la classe politique comme l’institution la plus corrompue (baromètre mondial de la corruption 2009). En matière d’intégrité, la classe politique française est jugée par ailleurs plus sévèrement par les milieux d’affaires internationaux que celle de la plupart des autres grands pays européens (enseignement de l’Indice annuel de Perception de la Corruption confirmé chaque année).
POUR 78 % DES FRANÇAIS, LES RESPONSABLES POLITIQUES NE SE PRÉOCCUPENT PAS DE CE QU’ILS PENSENT
Autre indicateur, l’institut de sondages SOFRES a réalisé un premier "baromètre de la confiance politique" pour le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), Edelman et l’institut Pierre Mendès France. (9 au 19 décembre 2009)
Pour ceux qui veulent lire ce rapport de 87 pages, très instructif :
Verdict :
- les deux tiers des Français (67%) n’ont confiance ni en la droite ni en la gauche pour gouverner le pays...
- Seuls 14% des personnes interrogées ont "confiance dans la gauche pour gouverner le pays" et 16% "ont confiance dans la droite". 3% sont sans opinion.
- Par ailleurs, plus des trois quart des Français (78%) considèrent que "les responsables politiques, en général, se préoccupent peu ou pas du tout de ce que pensent les gens", contre 22% qui estiment que « les politiques s’en préoccupent "beaucoup ou assez" ».
Quand on voit le nombre de démarches qu’il faut faire pour essayer de se faire entendre sur une question toute simple comme celle de l’Orte à Levens (06), des risques par rapport à l’eau, et de la perte stupide de telles terres propices au maraîchage, on comprend bien le sentiment des français. Il faut relire les réponses de certains élus (décisionnaires) à ce sujet: On parlait "eau", leurs techniciens nous répondaient "logements sociaux" (avec l’hypocrisie que cela signifie quand on connaît la situation locale).
POUR CHANGER LA SOCIÉTÉ,
LES FRANÇAIS ONT CONFIANCE EN EUX MÊMES
Mais il y a une heureuse surprise dans cette étude : les gens font massivement confiance - en eux mêmes - pour changer la société.
- A la question "pour la défense de vos intérêts, en qui avez-vous le plus confiance ?", 70% répondent en premier : eux-mêmes.
- De la même manière, 78% des personnes interrogées sont d’accord avec l’affirmation : "les gens peuvent changer la société par leurs choix et leurs actions".
Évidemment l’on peut penser à première vue que ce résultat est étonnant, car ce sont les Français qui élisent leur personnel politique. Sauf que cela n’aura échappé à personne, l’abstention est de plus en plus forte.
De nombreuses raisons à cela.
L'analyse de "La Croix": ("Les cinq raisons d'une abstention record"/article)
Et de Marianne 2: ("C'est le systeme qui produit l'abstention"/article)
« Ce ne sont pas les Français qui se désintéressent de la politique, c’est la politique médiatisée qui ne s’est pas intéressée à eux. Ce n’est pas la dépolitisation des Français qui menace notre démocratie, c’est le repli du système politico-médiatique sur son nombril, sa course aux postes, ses compétitions internes. A la préférence des acteurs pour leurs problèmes, les Français répondent, de plus en plus, par une préférence pour l’abstention. »
Désignation des candidats, préoccupation des élus, non respect des engagements, il y a toute une série de raisons qui éloignent les français du vote et les rapprochent de la méfiance.
Et s’il y en a bien une qui paraît fondamentale, c’est la corruption. Et l’illustration la plus évidente aujourd’hui est la prise illégale d’intérêts.
LA PRISE ILLÉGALE D’INTÉRÊTS
La prise illégale d’intérêt est définie par les articles Art. L. 432-12 et 432-13 du code pénal.
C’est « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende. »
À noter que l’intérêt « peut aussi être d’ordre politique, moral ou affectif » et que selon la jurisprudence « l’intérêt peut être pris directement ou indirectement »…et « l’intérêt est établi même lorsque c’est le patrimoine des descendants directs, ou ascendants directs, ou du conjoint, qui apparaît comme directement concerné » (voir ce document de la préfecture du Cher)
Les débats sur ces notions sont immenses. Élus et juristes n’ont de cesse de préciser, modifier, ce champ très sensible.
Ainsi le conseil constitutionnel a rectifié cet été l’article 7 du code électoral. Désormais en cas de condamnation l’élu ne se voit plus automatiquement radié des listes et inéligible pour 5 ans. ( lire )
VERS UNE PROTECTION PLUS GRANDE DES ELUS
C’est sans doute passé assez inaperçu, mais fin juin, les sénateurs ont voulu modifier la notion de « prise illégale d’intérêt ». Et c’est à l’unanimité que la proposition de loi présentée par un sénateur UMP de l’Isère a été votée.
lire à ce sujet (France: prise illégale d'intérêt, le sénat limite le risque encouru par les élus /revue "courrier des maires") et (localtis.info)
Au motif qu’il peut y avoir des excès de la loi, exemple " un élu qui vote une subvention pour un club dans lequel joue son petit fils est condamnable", c’est toute une partie de la loi qu’on veut vider de sa substance.
Ainsi la loi proposée ne condamnera plus lorsqu’il n’y aura plus d’enrichissement personnel, ainsi l’enrichissement d’un proche ou d’un parti sera possible. Voilà le scandale que va discuter l’assemblée nationale cet automne. Les tenants et les aboutissements de ce débat sont exposés dans ce dossier complet du nouvel observateur ("prise illégale d'intérêt des élus locaux: des contours flous "/25 juin 2010 )
Toujours dans la même veine, le 14 ème rapport de la commission pour la transparence financière de la vie politique signale pour 2009 « une dégradation dans le respect des délais de dépôt des déclarations de patrimoine », puisque « 67 % des élus municipaux et 72 % des conseillers généraux ont déposé leur déclaration dans les délais légaux contre respectivement 85% et 77% auparavant ». Mais plus encore, la commission note que si elle « appliquait strictement la sanction d’inéligibilité (…), l’inéligibilité devrait ainsi s’appliquer à 30 % des élus locaux ».
Vous avez bien lu 30% des élus locaux devraient être inéligibles, mais ne le seront pas.(lire " des élus hors la loi" 3 juillet 2010 )
DE QUELQUES AFFAIRES
Le contexte d’aujourd’hui est largement celui des affaires politico- financières. On verra jusqu’où elles pourront aller.
Sur le plan juridique, le magistrat Serge Portelli avance que « dans n'importe quelle démocratie digne de ce nom, une affaire telle que l'affaire Bettencourt-Woerth et autres (…) aurait donné lieu à des investigations rapides et menées par un magistrat indépendant, au-dessus de tout soupçon de connivence ou de complaisance ».
En effet, complètent les présidents d'organisations de magistrats, « dans ce contexte, qui conduit nécessairement au soupçon, confier la direction des enquêtes préliminaires au dit procureur de la République, qui en raison de son statut est sous la dépendance hiérarchique du pouvoir exécutif, n'est pas acceptable ».
Ce qui n’est pas le cas à Marseille où la justice fonctionne normalement dans le cas de l’affaire de « détournement présumé de fonds de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) ».
L'enquête, ouverte à la mi- 2007 après le signalement par Tracfin (Traitement du Renseignement et Action Contre les circuits Financiers clandestins) de flux financiers suspects entre juin 2005 et janvier 2007, porte sur le détournement de quelque 740 000 euros par des associations présumées fictives et subventionnées par la région. Parmi les mis en examen, un fonctionnaire territorial qui réceptionnait les demandes de subventions, Rolland Balalas, ancien secrétaire général du groupe PS au conseil régional. Cet ex-assistant parlementaire de Mme Andrieux, a déclaré aux enquêteurs que les détournements visaient à acheter les services de responsables associatifs dans des quartiers populaires du nord de Marseille, où l'élue a son fief, pour la campagne des législatives de 2007. Mme Sylvie Andrieux qui s’est défendue de cette accusation a été mise en examen en juillet avec levée partielle de son immunité parlementaire. Le président de la Région Michel Vauzelle s’est constitué partie civile.
« Faîtes ce que je dis, pas ce que je fais » semble être la chanson de certains élus.
Ainsi le Canard Enchaîné s’amuse t-il à faire un reportage sur la "république irréprochable de Nice".
cliquer sur ce lien pour lire l'article en pdf
OÙ L’ON REPARLE DU GOLF DE NICE
L’association ANTICOR comme son nom l’indique lutte contre la corruption.
Son antenne des Alpes-Maritimes vient de porter plainte contre X dans l’affaire du Golf de Nice. Nous reproduisons son communiqué du 17 juin 2010
« Par délibération n° 11 du 29 octobre 2009, le conseil général des Alpes-Maritimes a admis en non-valeur des créances irrécouvrables pour un montant de 105 367,74 € correspondant à des créances dues par la société « Golf de Nice » mise en liquidation judiciaire en 1992.
Ce faisant, cette collectivité locale reconnait officiellement que cette somme a bel et bien disparu…
C’est le 23 février 1989 que le département avait débloqué une subvention de 750 000 francs destinée à l’association Golf de Nice. Cette somme n’arrivera jamais sur le compte de l’association Golf de Nice mais sur celui de la SARL Golf de Nice… avant de disparaître !
Il s’agit donc, en l’espèce, d’une escroquerie, d’un abus de biens sociaux et d’un recel d’abus de bien sociaux.
- Voilà ce qu’en disait en mars 1993 un article de l’humanité " Le dixième trou du golf de nice est financier"
- Voir aussi ce qu’en dit wikipédia (wiki/Christian Estrosi)
- Et regardez l’enquête du magazine « Pièces à conviction » sur France 3 en 2004.
PROPOSITIONS POUR SORTIR DE LA CRISE PAR LE HAUT
La situation est grave.
Il y a une façon de sortir de ces pratiques, certaines illégales, d’autres peu morales. C’est fixer des règles et les faire appliquer.
Ainsi l’ONG « Transparence International » (section France) qui est « la principale organisation de la société civile qui se consacre à la transparence et à l’intégrité de la vie publique et économique » fait une série de propositions pour tous candidats aux différentes élections.
Il n’y a qu’à consulter la liste des administrateurs et des adhésions à cette ONG pour comprendre qu’on n’a pas à faire à des « dangereux révolutionnaires ».
Voici quelques entreprises adhérentes : Aéroport de Paris, Crédit Agricole SA, BNP Paribas, GDF Suez, Natixis, Société Générale. Crédit Mutuel etc.
En tout cas, on est tombé tellement bas aujourd’hui que ces propositions sont salutaires.
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Voici ces 10 propositions
1 - Obligation de déclarer l’ensemble des activités et fonctions, rémunérées ou non, ainsi que les activités de son conjoint (ndlr - à étendre aux ascendants, descendants et alliés), susceptibles de créer un conflit d’intérêt avec le mandat public exercé par l’intéressé ; sanctionner l’absence de déclaration.
2 - Engagement sur l'honneur de déclarer tout conflit d’intérêts ou risque de conflit d’intérêts à l’occasion de l’exercice du mandat ou de la fonction ; sanctionner l’absence de déclaration.
3 - Code de conduite applicable aux élus, aux ministres et à leurs collaborateurs (membres des cabinets ministériels et autres conseillers), comprenant notamment des règles précises concernant le passage entre le public et le privé (pantouflage).
4 - Non-participation aux délibérations d'une assemblée ou à la décision d’un exécutif en cas de risque de conflits d'intérêts. (ndlr: dans ce cas, interdiction de toute décision par l'assemblée ou l'exécutif)
5 - Nomination de déontologues indépendants pour chaque famille d’acteurs (parlementaires, ministres, conseillers).
Transparence sur les situations financières
6 - Rendre annuelle la déclaration de patrimoine déjà en vigueur (ndlr- en vigueur actuellement en début et fin de mandat pour les seuls maires de communes de plus de 100 000 habitants - à étendre à tous les élus quels qu'ils soient) et l’étendre aux revenus et avantages en nature liés aux fonctions électives et exécutives.
7 - Donner à la Commission pour la transparence financière de la vie politique de véritables moyens de contrôle, d’investigation (accès aux documents bancaires et fiscaux, appel à des experts financiers) et de sanction des déclarations inexactes.
Elus condamnés pour corruption
8 - Engagement pour tout élu, condamné en première instance pour corruption ou délit assimilé, de suspendre son mandat jusqu’à ce que la justice se prononce de manière définitive. Engagement de démissionner en cas de condamnation par une décision judiciaire définitive et de ne plus se représenter à l’avenir.
Encadrement du lobbying
9 - Les dispositifs respectivement adoptés par l’Assemblée Nationale et le Sénat en 2009, s’ils sont des premiers pas positifs, sont encore très loin de répondre aux enjeux démocratiques de l’encadrement et de la transparence du lobbying (voir les recommandations complètes de Transparence International France).
Devoir de rendre compte
10 - Comptes rendus publics et réguliers sur la manière dont les assemblées et les exécutifs gèrent les conflits d'intérêts.
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C’est un exemple de ce vers quoi il est indispensable d’aller.
Mais on l’a compris le mouvement vers la transparence, le non cumul des mandats, le non enrichissement de soi ou de ses proches, le non mélange des genres (élus/ entrepreneurs, par ex) ne peut pas venir seulement des élus.
Il est souhaitable d’exiger à toute élection ces engagements de la part de ceux qui se présentent aux suffrages. On dira même que ce devrait être le minimum pour faire acte de candidature.
78% des personnes interrogées pensent que : "les gens peuvent changer la société par leurs choix et leurs actions" dit l’enquête de Viavoice.
C’est en ce sens que nous parlons en titre de « divorce salutaire ? »
Alors peut être les Français retourneront aux urnes.
Précision: Évidemment les élus qui se battent chaque jour contre la corruption, les magouilles, le clientélisme ne se sentiront pas visés et ont tout intérêt à mettre ces questions encore plus au centre de leurs actions, une grosse partie de la population n'attend que ça et est prête à mouiller la chemise avec eux.