Levens (06) L’affaire du vallon qui est devenu une décharge
Conflits d’intérêts, mensonges, histoire de gros sous, arrangements; en cette période de difficultés, le sommet de l’ Etat n’est pas exemplaire. Il ne fait pas ce qu’il dit et fait ce qu’il ne dit pas. Le sommet ? pas seulement… Exemple dans les Alpes Maritimes à Levens, où le maire a fait impunément combler un vallon au détriment de pas mal de règles.
Depuis trois semaines, ce qu’une partie de la presse (Médiapart, le Nouvel Observateur, Le Monde , Marianne, le Canard Enchaîné) publie, elle ne l’invente pas, elle le révèle. Et c’est édifiant.
La 3 éme fortune de France qui oublie de déclarer au fisc…une île.
Cette même grosse fortune qui n’a pas de contrôle fiscal depuis ... 15 ans.
Cette même fortune qui reçoit 30 millions au titre du bouclier fiscal, qui finance des personnages politiques, qui finance le parti majoritaire (?) , ainsi que ses nombreux satellites.
Il y a visiblement une façon de faire avec la loi qui n'est pas la même pour tout le monde. Grandes largesses pour les puissants, petites tolérances pour les faibles.
Tout ça juste quelques jours après une série d’actes, de comportements, répréhensibles pour certains, choquants pour d’autres…
C’est le permis de construire illégal de Joyandet, qui lui a coûté sa place au gouvernement, les 12 000 euros de cigare de Blanc qui lui ont coûté son poste, les 9 500 euros de la mission de Christine Boutin etc. etc.
UNE AUTO-PROTECTION
Les noms d’oiseaux, dont quelques personnages bien en cour affublent les journalistes qui font leur travail, signifient la hargne et la déconfiture totale d’un clan.
On est d’ailleurs assez étonné que, devant des qualificatifs aussi lourds de sens que « fasciste », « presse des années 30 », il n’y ait pas plus de réactions.
Car enfin la période est crade. À croire que tout le monde n’est pas si net. À moins que ce ne soit une de ces stratégies « géniales » qui mènent à la catastrophe: laisser pourrir le fruit, et ramasser la mise...
Il faudra pourtant bien qu’un jour les prétendants comprennent eux aussi qu’on s’en fout de qui occupera le fauteuil. Ce qui compte c’est les règles de gouvernance et de fonctionnement de la société qui empêchent les dérives. Et ces règles existent. On y reviendra prochainement.
L’INCIVILITÉ POLITIQUE
Tous ces scandales ont pour point commun: comment s’arranger avec la loi ? Comment passer outre, ou plus intelligemment la contourner ? Il faut dire que si ces affaires n’étaient pas sur la place publique tout continuerait. Le premier résultat positif de leur médiatisation c’est l’arrêt de quelques pratiques douteuses. De quelques unes seulement.
« Il est intéressant de noter que, depuis ces derniers jours, l'expression d' « incivilité », qui était jusque-là surtout utilisée pour désigner les atteintes aux biens publics par des jeunes des banlieues, sert maintenant à qualifier les « incivilités politiques », les abus de fonction ou de position, pas forcément pénalement répréhensibles mais perçus par tout le monde comme contraires aux normes et aux valeurs. Si tous ces éléments ont pris autant d'ampleur, c'est qu'il n'y a pas eu en face de réaction claire. S'il y avait eu une réponse politique face à ces dépassements de lignes jaunes, comme cela se passe dans beaucoup de démocraties occidentales, et non des renvois en touche, la situation serait aujourd'hui différente. Les acteurs politiques – les plus intègres – ne devraient-ils pas se mobiliser sur le sujet délicat de la probité? ». C’est le juriste sociologue Pierre LASCOUMES directeur de recherche au centre d’étude européenne à sciences po, qui lors d’un entretien à Médiapart fait cette analyse. (lire)
Analyse dans laquelle, pour le chercheur, il n’y a pas de petite affaire :
« Ce qui détermine davantage les comportements politiques et le vote, c'est l'accumulation de toutes les petites affaires, toutes ces petites transgressions car elles démontrent la capacité des élus à résister, ou non, aux tentations de leur charge: avantages personnels, népotisme, soumissions aux intérêts économiques... »
Petits arrangements, petites transgressions ?
On peut lire sur le blog de l’association Nîmoise ASIST que le sénateur maire UMP vient de se voir infliger une condamnation de 15 000 Euros, pour prise illégale d’intérêt (lire). Un élu qui prend des aises avec la loi comme avec les risques inondations.
Décidemment " ce doit être dans leur gènes ", tous ces élus qui se moquent de l’eau, qui se moquent des risques, et qui s’arrangent …
Voici un autre « arrangement », pas si petit, car il touche à plusieurs domaines: l’environnement, les réglementations, la santé publique, l’argent etc.
A LEVENS, UN AS DES DÉCHETS
Est-ce la région qui veut ça? Le "Canard Enchaîné" dans sa livraison du 9 mai 2010 raconte comment dans le Var les décharges illégales se multiplient dans la nature.
L’histoire dont nous allons vous raconter le détail a commencé dans les années 2000.
Cela se passe à Levens 06.
Levens à 18 km de Nice fait partie de la communauté urbaine Nice- Côte d’Azur, dont le président aujourd'hui est le maire-ministre Christian Estrosi (*)
Levens, dont le maire (UMP) Antoine Véran a pris la décision - tout seul - de faire combler un vallon. Pas un petit remblai: la surface couverte par des norias de camions durant des années c’est plus de 6000 m2, la hauteur du comblement atteint 10 m par endroits.
(cliquer sur les images de l'article pour les agrandir)
Une aubaine pour quelques entreprises du BTP qui ont ici plus de mal à trouver des décharges que des chantiers.
le vallon de la Cumba en juin 1999
le vallon de la Cumba en juin 2004
Le lieu n’est pas anodin. Le "vallon de la Cumba" ou "vallon des pompiers", parce que situé près de la caserne des pompiers, est une zone protégée au POS de la commune. Elle est au pied du village ancien. Elle surplombe un site protégé Natura 2000 et le canal de la Vésubie qui alimente Nice en eau potable...
Le vallon en question est un rieu sec méditerranéen, qui reçoit peu d’eau, sauf tous les 20 ou 50 ans... Mais ce type de problème n’est pas dans les préoccupations de cet élu, qui a toujours affirmé, contre de nombreuses preuves, qu’il n’y aucun problème d’eau ou de catastrophes naturelles sur sa commune....
Dans les années 2000, des camions de toutes provenances - il en vient même de Monaco - jettent, déversent des déchets et des gravats, bref des matériaux de toutes natures.
Ils ne sont pas contrôlés et pour cause, puisque rien de toute cette opération n’est fait dans les normes. Camions incontrôlées, lieu non autorisés pour ce type d’opération...
Lorsque la communauté d’agglomération Nice Côte d’Azur (CANCA) se crée fin 2001, l’instigateur de cette opération est récompensé: le maire de Levens, Antoine Véran, devient le responsable des déchets de Nice Côte d'Azur. (voir notre article du 16 juin 2009 "déchets dans les Alpes Maritimes: la crise" )
UN MANQUE À GAGNER DE 1,7 MILLIONS D’EUROS
Non seulement cette opération pollue un site, mais elle constitue aussi un manque à gagner important pour la commune. Car enfin se débarrasser des déchets à un coût. Un coût qui varie selon la nature de ce qui est rejeté.
Selon une évaluation de l’Association de Défense et de Sauvegarde de Levens (ADSL), l’estimation du volume des remblais est de 15 605 m3 pour environ 28 090 tonnes (2005).
À l’époque le prix moyen de la tonne pour les gravats propres non triés peut être évalué à 60 euros la tonne (plus bas prix en décharge habilitée). Le manque à gagner pour la commune - au cas ou cette opération aurait été autorisée - (ce qui est peu évident compte tenu du caractère protégé de la zone ) peut être évalué quasiment à 1,7 millions d’euros. Une peccadille pour une commune de 5000 habitants qui possède peu de revenus...
En juillet 2001, le journal de l’opposition municipale « Levens au cœur » s’était ému le premier de cette noria de poids lourds en un tel lieu. « Les premiers camions sont arrivés en mai dernier". (soit juste après les élections municipales NDLR) . " Des mastodontes de plus de trente tonnes, chargés de terre, de rocs et de gravats »…. Et plus loin « …Pendant deux mois, jusqu’à cinquante fois par jour, les camions venus de Menton, Beausoleil, l’Ariane, Tourrette ou Nice plongèrent sur la Gumba …»
Et le journal de l’opposition de poser la question financière « Au fait, se débarrasser de gravats est un opération lourde et onéreuse pour les entreprises. Sur la base de quel accord financier a-t-elle été réalisée ? Il semble douteux que notre maire ait transformé un vallon de la commune en décharge sans contrepartie pour la commune. Laquelle ? »
Le 28 septembre 2001, à la séance publique du conseil municipal, le leader de l’opposition, Auguste Guglielmazzi repose la question de l’argent. Il demande aussi « quelles sont les raisons qui ont conduit à obstruer le vallon de la Gumba ? Pourquoi ces travaux n’ont-ils pas fait l’objet d’une délibération du conseil municipal ? » (extraits du Pv du conseil municipal)
Dix ans après le début de cette histoire, on peut vous donner la réponse. Pour la commune, il n’y eut pas de contrepartie financière.
PRÉFECTURE, GRANDS SERVICES DE L’ÉTAT, ALERTÉS
Quant à l’argumentaire que le maire met en place il est …étonnant. En contrebas se trouve une station d’épuration et bien « la route s’effondrait et cela empêchait le passage du concessionnaire pour récupérer une partie des boues de la station d’épuration… » répond le 1er magistrat.
(les photos qui suivent sont édifiantes, on y voit clairement que cet argument est fallacieux)
Cela aurait pu cesser, en deux mois une surface de 1000 m2 avait été comblée. Mais les camions connaissaient le chemin...
Et l’opération continua de nombreuses fois au cours des années pour arriver à la superficie et au tonnage mentionnés plus haut.
Le 14 mai 2003 l’opposition municipale (Levens au Coeur) intervient encore, pour poser la question de la nature des matériaux. Elle dit avoir constaté la présence de polystyrène expansé, canalisations électriques, IPN métallique, bois, plaques d'amiente fibro-ciment, incompatibles avec un milieu naturel.
Et cela continue, en séance du 19 mars 2004 une autre question: « de nouveaux dépôts sauvages de gravats viennent d’avoir lieu à la Gumba. S’agit-il de décharge sauvage ou de décharge faite avec l’autorisation de la Mairie. » ?
Le Maire ne se démonte pas et informe qu’il a donné l’autorisation lui-même « à monsieur le Maire de la Roquette sur Var (**) dans le cadre d’un chantier »...
L’opposition écrira en 2003 à la Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt, à la Direction des Affaires Sociales et Sanitaires, à la Direction Départementale de l’Equipement, à la DRIRE. Quant à la préfecture des Alpes Maritimes, elle aura copie de tous les courriers...
Le 2 juillet 2005, un dossier conséquent est envoyé "à Mr Le Procureur Eric de Montgolfier" par l'ADSLevens, (cette association a mis à bas un projet de construction d’immeubles privés sur le parking du village), qui demande un rendez-vous.
En Octobre, après une relance de l'association, la vice-procureure, Muriel Fusina, répond:"J'ai bien reçu votre lettre, votre plainte du 2 juillet dernier a été renregistrée sous le numéro 05/13174, elle est actuellement en cours d'enquête... il ne m'est pas possible de répondre favorablement à votre demande de rendez-vous...vous serez avisé des suites données à la procédure lorsque l'enquête sera achevée..."
Un an passe...l'enquête s'éternise...
Le 26 juin 2006, l'ADSLevens, organise une information de la population « avec des fleurs ». Les habitants sont accueillis par des arbustes en pots ou des plantes qui leur sont distribués. Une pétition est signée par de nombreux habitants. La presse a répondu présente. Nice matin, Le Patriote Côte d'azur. France Bleu, France Info ouvrent leurs micros à l’association.
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Notre prochain article vous contera l’épisode judiciaire. On parie que peu de monde s’attend à pareil dénouement…..
renvois:
(*) Christian Estrosi dont nous venons d’apprendre qu’il n’est pas seulement 1er vice-président de l’UMP, est aussi Président du parti du Président. Non ce n’est plus tout à fait l’UMP, c’est un tout petit parti un « parti de poche ». Il y en a des centaines en France. Ils permettent, comme celui d’Éric Woertz, de "s'arranger avec la loi". Alors que les versements à parti sont limités, si vous multipliez les "partis" vous multipliez les versements. Ces "partis" n'ont pas d'élus, pas de militants , pas d'activité, autres que la collecte d'argent. Voilà comment l'on peut à la fois ne pas être totalement dans l'illégalité et totalement a-moral. Mais qu'est ce que vient faire la morale ? lire et lire aussi.) {C}
(**) Le maire de la Roquette sur Var de 1998 à 2006, Jean Jacques Isaia (UMP) était un proche du maire de Levens.
lire notre billet "La fin de la confiance, le début de quoi ?"