Levens (06) les leçons de la bergerie pédagogique
Comme beaucoup de communes de France, Levens a désormais sa "bergerie pédagogique". Mais ici, tant l’inauguration que le coût, prennent certaines proportions...
Dans le 06 l’agriculture est à un tournant. Plutôt que d'enrayer la disparition des terres fertiles, on se livre à un tout autre exercice .
De mémoire de mouton on n’avait jamais vu ça. Ils en bêlent encore.
Pensez, il y avait là:
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Le préfet (en fait son représentant, Jean-Marie Carteirac, responsable de la DDTM),
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Christian Estrosi, député maire de Nice, président de la Communauté Urbaine Nice Côte d’Azur,
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Eric Ciotti, député, président du conseil général des Alpes Maritimes,
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le Président de la Région PACA représenté par Patrick Allemand, premier vice- président,
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Michel Dessus, président de la chambre d’Agriculture
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et puis des conseillers généraux; celui du canton, Alain Frère,
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celui qui est responsable de l’agriculture, Ange Ginésy,
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des maires; celui de Levens Antoine Véran,
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mais aussi celui de Duranus ,
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d’autres élus,
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des responsables de services, des techniciens, etc
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des gendarmes,
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des voitures officielles,
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attachées de presse,
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petits fours, population levensoise, et « des brochettes de fidèles »...
mobilisés pour un événement exceptionnel:l’inauguration d’une bergerie... "pédagogique".
UN EVENEMENT MEDIATIQUE
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Ainsi sur le blog de Christian Estrosi.
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Sur le site de la Comunauté Urbaine NCA, Nice TV "inauguration-de-la-ferme-bergerie-de-porte-rouge"
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sur le site du Conseil Général 06
UN BÂTIMENT DE 1,2 million €TTC
La bergerie communale ce n'est pas ça ↓
Ni ça ↓
C’est ça ↓
Le coût de construction de cet établissement communal est variable... mais très élevé. Selon les chiffres officiels du conseil général c’est 875 000 € HT pour la construction de 500 m2 de bâtiments. Toujours selon cette source, le financement est réparti entre les différentes collectivités de cette façon: 200 000 € par l'Etat, 170 000 € par Nice Côte d'Azur, 150 000 € par le Conseil général, 150 000 € par la Région PACA, et 69 093 € par le fonds européen FEADER.
Mais la part de la commune n’apparaît pas. Elle est annoncée à 330 000 € dans le discours du maire. C'est sans compter la valeur du terrain qui appartenait déjà à la commune. Au bas mot c’est pour la construction: 1,2 million d’euros payé par le contribuable, car il ne faut pas oublier que les subventions, toutes les subventions, c’est de l’impôt.
Le couple d’exploitants (Héléne et Éric) fait lui aussi un gros effort . Ce sont eux qui financent, en sus, les équipements de l'exploitation et l'aménagement des bâtiments à hauteur de 150 000 €, plus un loyer de 13 000 € par an, payé à la commune, toujours selon les chiffres donnés par le maire.
On souhaite entière réussite à l’entreprise de ces deux jeunes agriculteurs.
Il y aura à la vente, viande d'agneau, merguez et saucisses de brebis, et bien sûr FROMAGES ET YAOURTS DE BREBIS. Les premiers produits de la bergerie que nous avons achetés étaient excellents, nous souhaitons que cela puisse perdurer, et une entière réussite à l’entreprise de ces deux jeunes agriculteurs. .
Contact: Helene.Kaszowski@orange.fr
Sur le marché de Levens le dimanche matin, et à la ferme les autres jours.
PAROLES, PAROLES
45 minutes de discours pour cette inauguration. C’est un peu long ... alors nous vous en donnons quelques extraits, les plus significatifs.
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Antoine Véran, maire de Levens
En gras, nos rectifications des "approximations" du premier magistrat. Ecoutez bien, vous apprendrez par exemple, que l'Orte, a rétréci de moitié !
5’38: " C’est un équipement de l’ordre du million d’euros (HT)
Tout ce qui est à l’intérieur ce sont les éleveurs qui l’ont investi 150 000 €"
" Le département des Alpes Maritimes est le seul département qui aide les éleveurs de cette façon " (Faux)
" La Région nous a aidé aussi, un peu moins que ce que nous le souhaitions."
(150 000 euros d’aide de la Région, soit exactement comme le département)
et la perle de la soirée:
" Qu’on ne vienne pas nous parler de 4000 m2 de maraîchage. Ça, ( sous-entendu: la bergerie), c’est une réalisation agricole "
Le maire de Levens fait allusion aux 22 000 m2 de l'Orte dont il a fait acheter 1/3 (7 000 m2) à la collectivité. C'est l’un des deux derniers espaces de terres arables de la commune, qu’il destine au béton en voulant y mettre des immeubles, alors qu’en sus, il y a des risques dans cette zone...
Tous les spécialistes agricoles sont d’accord pour dire que ces terres sont intéressantes pour le maraîchage et faciles à exploiter.
À de nombreuses réunions (PLU, entre autres) le maire ressort ce mensonge de 4 000 m2... Sans doute veut-il ainsi minimiser les possibilités d'utilisation maraichère de ces lieux, à un coût bien inférieur à celui de la "ferme pédagogique". (voir l'étude réalisée en 2010 sur les possibilités de l'Orte par des techniciens)
7’10: "Un bâtiment qui fait 720 m2 ( les documents indiquent 500 m2)
670 00 euros de subvention
320 000 euros de la collectivité
8’25: Nous avons à cœur de faire une huilerie moderne
8’46: PLU :1"80 hectares dans le domaine du pâturage,
30 hectares dans le domaine de l’agriculture pure et dure et du maraîchage" . Renseignements pris, il n’est malheureusement pas question de 30 hectares de maraîchage
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Patrick Allemand (vice-président de la région PACA)
Après avoir salué et encouragé le couple d’éleveurs sur les épaules de qui repose le réussite de ce projet, Patrick Allemand a rappelé combien
16’48 « on reste très attaché aux valeurs agricoles »
17’25 "Mr le maire vous avez beau me dire la Région n’a pas fait assez elle a fait avec son budget, elle a été au maximum de ce qu’elle peut faire…150 000 euros
17’40 Peut être qu’Éric Ciotti soutient ….mais je vous garantie que dans les six départements de la région les éleveurs sont soutenus de la même manière...
18’35 l’agriculture de ce département n’a jamais été extensive, mais toujours une agriculture de proximité, de circuit court."
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Eric Ciotti,
23'"Nous recensons aujourd’hui 1751 exploitations agricoles dans le département
750 ne font que cette activité...
Ces exploitations se développent sur cent mille hectares et réalisent un chiffre d’affaire de cent millions d’euros....
23'35…24'Sans la présence des agriculteurs, c’est l’image de notre département qui serait altérée et donc nous avons le devoir, au delà du poids économique que représente le secteur agricole, de faire en sorte qu’il y ait ce maintien des activités agricoles"
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Christian Estrosi
29' "Vos convictions ( à la population NDLR) vous conduisent à avoir un attachement profond à la terre , à la ruralité
29'50 Cette ruralité est ce qui doit le plus incarner le territoire que nous construisons aujourd’hui
33'35 Nous avons l’exigence au travers de nos plans locaux d’urbanisme de maîtriser suffisamment les terres agricoles qui tout au long du 21 eme siècle garantiront l’agriculture. Nous allons la pérenniser, l’élevage nous allons le pérenniser
36’30...36'40 La grande distribution a augmenté ses marges de 100% en achetant moins cher chez le producteur et en vendant plus cher au consommateur
37’20 Nous avons en tant qu’élu notre part à assumer pour soutenir l’activité
39’57 J’ai dit dans le cahier des charges (des 162 cantines scolaires de Nice NDLR) il sera imposé de faire appel aux producteurs locaux...
Quand je pense qu’on faisait venir des tomates en barquette de Hollande….Pour mettre sur la table des tomates sans saveur et sans aucun goût et bien faire appel aux tomates de nos maraîchers de la plaine du var c’est autre chose aujourd’hui ..."
40'35 Il y a quelque chose qu’on ne peut pas délocaliser ce sont nos territoires"
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L’AGRICULTURE ET SES ENJEUX
On l’a entendu. Tout le monde dit défendre l’agriculture.
Et d’annoncer des chiffres pour le futur PLU qui devraient ravir les partisans que nous sommes de cette activité.
C’est un peu moins évident qu’il n’y paraît.
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180 hectares de pâturage, c’est toujours 180 ha de pâturage. Qu’ils soient comptabilisés dans les espaces agricoles ne change pas grand chose. Si toutes les terres de pâturage des Alpes Maritimes (en montagne n’est-ce pas) deviennent "agricoles", on va probablement battre le record de France de l’augmentation en surface des terres agricoles !
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Que certaines oliveraies (classées auparavent en zone naturelles Oliveraies NDO) et pas d’autres - selon quels critères ? mystère ! - passent en "zone agricole", ça change quoi ? Sur le PLU de Levens, cela donnera surtout la possibilité à ces propriétaires là de construire jusqu’à 1000 m2 !
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On peut dire la même chose de certains terrains en contrefort du Férion, cette chaîne de montagne entre Alpes et Mer, qui de "zones naturelles" deviendront eux aussi "agricoles", et pourront, eux aussi, acceuillir des constructions jusqu'à 1000 m2...
Faire du chiffre, jouer à additionner de la surface, pourquoi pas. Mais ne peut-on pas s'attacher à sauver prioritairement les terres qui ont une valeur agronomique particulièrement intéressante, hormis les oliveraies .
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A Levens, ces terres là sont rares, il n'y a que deux zones répertoriées comme "terres arables" dans les documents officiels. C’est le secteur de "la Madone" - jusqu'aux contreforts du Férion (mais pas les contreforts justement ! ) - et le secteur de "L’Orte".
Or les terres prévues comme "zones agricoles" dans le futur Plu, ces fameux "30 hectares de maraîchage" entendus dans le discours du maire, n'incluent pas pour le moment ces secteurs de terres arables. Cela concerne des landes et des oliveraies qui seraient vouées à de la "polyculture" (selon les renseignements pris auprès de quelques représentants du monde agricole interrogés ce soir là).
LES BONNES TERRES DISPARAISSENT EN PRIORITÉ
Tous ces officiels étaient à Levens pour faire passer ce message: nous défendons l’agriculture.
On voudrait y croire. Mais tellement de faits vont à l’encontre de cela.
D’abord rappelons que la perte des terres agricoles en France s’accélère. Il y a quelques années il disparaissait en France l’équivalent d’un département tous les dix ans, aujourd’hui c’est tous les sept ans. Et le phénomène est encore plus important en Provence Alpes Côtes d’Azur.
3000 hectares de terres agricoles disparaissent chaque année en PACA alors que la superficie agricole ne représente déjà plus que 22% du territoire régional contre 52% au niveau national.
Ce qui veut dire que si l’on veut inverser cette tendance, il faut faire beaucoup plus. Beaucoup plus mais pas n’importe comment.
Ah les surfaces. Les malins ont trouvé la parade pour les augmenter artificiellement.
Les zones pâturages (les garrigues, les sous bois, les landes ) sont comptabilisées dans les zones agricoles, comme à Levens.
C’est une drôle de victoire pour l’agriculture, car enfin toute terre ne se vaut pas.
Une étude vient de révéler que (comme à Levens ), les bonnes terres disparaissent en priorité. Cette étude du ministère de l’écologie du développement durable des transports et du logement (PDF) détermine le lien entre la qualité agronomique des sols et leur artificialisation. Et confirme ce que nous ne cessons d’écrire. Beaucoup des meilleurs sols sont sacrifiés. Ainsi pour PACA l’étude signale que « l’artificialisation touche environ 30% des sols agricoles de qualité agronomique très bonne et dans une moindre mesure les autres ».
Pourquoi ? Parce qu’ils sont bien situés, en terrain plat.
DES PLU QUI TIENNENT COMPTE DES POTENTIELS AGRONOMIQUES DES SOLS
Il faut lire cette étude. D’autant qu’elle signale une autre voie que les petits calculs. Il existe un exemple de préservation des sols agricoles, dans l’Indre, en fonction de critères agronomiques « La chambre d’agriculture de l’Indre a réalisé des outils d’aide à la décision pour son département à partir de la carte des sols et de la base de données associée au 50 000e du programme d’inventaire, gestion et conservation des sols (IGCS). Les cartes de potentiels agronomiques des sols ont ainsi permis de gérer des conflits d’usage en zones périurbaines et en milieu rural lors de l’agrandissement de zones d’activités ou de travaux d’aménagement d’infrastructures dans le cadre de Plu. »
Autrement dit on ne bétonne pas un sol de bonne qualité agronomique.
L'étude est nette:
"La préservation des meilleurs sols agricoles est un enjeu fort de l’aménagement du territoire, notamment en milieu périurbain, où la pression sur les sols est considérable. "
Alors quand Christian Estrosi dit « la DTA, nous imposait le maintien de 90 ha de terres agricoles à Nice, nous allons plus loin et nous en préservons 130 », nous espérons que ce sont les meilleures terres qui sont sauvées.
La plaine du Var est un cas d’école. C’est l’une des terres les plus riche d’Europe. La nappe phréatique affleure, le climat est excellent pour faire jusqu'à trois récoltes annuelles, la terre est de qualité exceptionnelle. Pendant la guerre elle a nourri et sauvé beaucoup de familles.
Une opération d’aménagement est prévue sur ces 10 000 hectares. Aménager certes, c'est nécessaire car depuis des décennies c’est du grand n’importe quoi. Mais qu’elle part pour l’agriculture ? Quelques dizaines d'hectares ? Ou bien beaucoup plus ?
C'est la même problèmatique à Levens
Oui, à Levens, sous les oliviers, on faisait autrefois de la culture de pois chiches, de lentilles, de blé, des vignes . Il y avait de l'élevage aussi. Mais sous les oliviers, le maraîchage n'a pas sa place.
Oui, il y a ici un attachement profond pas seulement à la terre, mais à ses produits.
Oui, il est actuellement totalement impossible de satisfaire la demande locale en légumes frais, petits fruits, œufs, volailles, lapins etc... (et pourtant la superficie de la commune c'est près de 3000 hectares...)
(Au fait l’élevage de poules du Férion tant vanté par le Maire de Levens, il y a quelques années, qu'est-il devenu ? A quoi a servi cette opération qui avait promu l'installation d'un jeune agriculteur venu de Vendée?)
Il y a un changement de mentalité des populations qui vivent à Levens. Elles veulent se nourrir local et ne se nourriront pas que de discours.