Levens(06) : Un manque cruel de terres pour le maraîchage
La réponse positive de la population à la création de l’AMAP de Levens a de multiples significations. Mais l’enseignement majeur est bien qu’il manque des terres pour le maraîchage. À Levens comme ailleurs.
Quarante cinq familles levensoises sont d’ores et déjà devenues amapiennes. L’AMAP de Levens prospère chaque jour et a aussitôt crée son blog. http://amapdelevens.over-blog.com/
Cet élan est d’autant plus remarquable que l’engagement en AMAP va bien au delà d’un simple acte d’achat.
Ainsi tous les Amapiens ont signé à l’avance des chèques de pré-paiement des paniers de légumes pour les six mois à venir. Et cet acte là n’est pas anodin. Il soutient l’agriculteur et lui permet d’envisager son travail plus sereinement.
Quarante cinq familles et combien d’autres encore ? Tous les jours des personnes contactent l’association pour s’inscrire, pour se renseigner. Elle a eu des demandes de Nice, de Monaco, de Plan du Var, qu’elle n’a pu satisfaire.
Cette adhésion a une signification quant à la population rencontrée. Elle manifeste son envie de se fournir en produits locaux bio.
Une partie de ces personnes connaissait bien le système des AMAP. Elle a aussitôt sauté sur la création de l’AMAP de Levens pour s’y inscrire. Une autre était gagnée au principe sans en connaître toutes les modalités.
Pour tout savoir ou presque sur la question des AMAP on renvoie au travail de ces deux chercheurs Michaël POUZENC* et Jean PILLEBOUE* : « Les AMAP dans l’alimentation, une nouvelle forme de rapports consommateurs-producteurs ? » (voir article )
BIENTÔT UNE LISTE D’ATTENTE
Nul besoin d’ être grand penseur pour conclure que ce phénomène nouveau à Levens va s’amplifier. Que rapidement il faudra faire une liste d’attente pour une autre AMAP.
Mais qui pourra répondre aux besoins ? Bien sur qu’il y a des jeunes ou des agriculteurs qui ne demandent qu’à travailler, produire. C’est vrai à Levens, mais c’est vrai partout dans le département. Le "Point Info Installation" des Alpes Maritimes recense pas moins de 150 porteurs de projet à la recherche de foncier pour créer leur exploitation.
Mais où ? sur quelles terres ? Les gens veulent des légumes, des fruits de proximité, bio certifié de préférence, et cela ne sera pas possible pour tous.
C’est un constat: à Levens cette question n’a jamais été pensée. Aucun document d’urbanisme qui ne protége des terres pour le maraîchage. Les seules terres qui ont été protégées sont les oliveraies. C’est bien, mais on ne se nourrit pas que d’olives.
Pire le dernier document d’urbanisme en cours d’élaboration (le PLU) a bien identifié les dernières terres arables de la commune: l’Orte et la Madone, mais pour les massacrer. Il les voue à la bétonnisation massive. L’Orte est même l’un des rares lieux de la commune où il est prévu des immeubles.
LE 8 MAI À CARROS
Et si ce phénomène ne se produisait qu ‘à Levens, on pourrait espérer trouver des terres pas trop loin. Mais malheureusement nombreuses sont les communes qui abordent cette question avec courte vue.
Ainsi à Carros où le maire (PS), Antoine Damiani fait encore plus fort. Il envisage d’urbaniser la totalité du quartier du Plan, de rejeter l’activité agricole et d’augmenter rapidement sa population de 6000 habitants (soit, plus 50% ).
Les Perdigones répondent présent à l’invitation de "Aqui Sien Ben", pour faire avec d’autres associations, de la journée du 8 mai , jour de la fête des fraises, une journée de sensibilisation des populations à cette question. ( lire )
30 000 AGRICULTEURS NÉCESSAIRES EN PACA
Toutes les études l’indiquent: sacrifier les terres est une position de très court terme. Leur stérilisation bien souvent irréversible devrait inciter à plus de protection de part les instruments de la loi. Mais ceux-ci font défaut. Un mouvement de défense des terres fertiles est né, mais il n’est pas encore assez puissant...
Certains réfléchissent à une loi nationale pour la protection des terres fertiles. Et il y a de quoi faire.
Deux éléments de réflexion.
1) N’est il pas déraisonnable par exemple de laisser les seuls Conseils Municipaux décider du sort des terres cultivables qui sont une ressource vitale pour tous ?
2) L’argument de la compétitivité bascule:Le renchérissement du pétrole et des matières premières, le développement de la population mondiale, le changement des modes alimentaires des pays émergents, l’ épuisement des sols surexploités par l'agriculture intensive, les dérèglements climatiques et écologiques de la Planète...rendent l’agriculture paysanne de proximité indispensable et compétitive.
Si l’on souhaitait nourrir l’ensemble des habitants de la région PACA avec des fruits et légumes de saison en agriculture paysanne et diversifiée, selon une évaluation d’Alliance Provence « plus de 30 000 paysans et salariés agricoles seraient nécessaires »
Dans le même temps chaque jour 3 exploitations agricoles s’arrêtent. « Étalement urbain , pavillonarisation des territoires ruraux, « zac-isation » du développement économique l’agriculture n’est depuis longtemps pas la priorité sur nos territoires » écrivait le réseau des AMAP en 2009.
3000 hectares de terres agricoles disparaissent chaque année en PACA alors que la superficie agricole ne représente déjà plus que 22% du territoire régional contre 52% au niveau national. Sur 74 000 fermes en 1970 il n'en reste que 20 000 en 2007. Si rien n’est fait, d’ici moins de 50 ans l’agriculture aura disparu de la bande littorale provençale.
DES VILLES QUI PROTÉGENT LES TERRES
Heureusement les citoyens s’emparent de cette question et des villes protégent les terres.
Ainsi l’agglomération de Nantes Métropole qui réunit 24 communes a t’elle pris les choses à l’endroit, comme l’explique cet article du journal Télérama. " ça-germe-en-ville"
Le PLU de Nantes lutte contre l’étalement urbain et, pour répondre aux besoins de logements, densifie le bâti dans son périmètre actuel. « Il garantit que les 16 000 hectares de terres agricoles ne changeront pas d’affectation pendant au moins vingt ans ». Ce qui décourage la spéculation et encourage les agriculteurs.
Autre initiative celle de "Terres en villes"
Cette association paritaire entre élus et responsables agricoles (née en juin 2000) regroupe 23 aires urbaines, chacune étant représentée par l'Intercommunalité et la Chambre d'agriculture : Aix-en-Provence, Amiens, Angers, Aubagne, Besançon, Caen, Chambéry, Grenoble, Ile-de-France, Lille, Lorient, Lyon, Ceinture Verte de Mancelle, Nancy, Nantes, Perpignan, Poitiers, Rennes, Saint-Etienne, Saint-Nazaire, Strasbourg, Toulon, Toulouse.
Ces territoires mettent en commun leur savoir, échangent leurs expériences, agissent afin que la brutale mutation due à l’urbanisation « ne marginalise pas les activités rurales ».
ALIMENTATION/ENVIRONNEMENT À L’ECHELLE MONDIALE
Changeons d’échelle, car le problème est mondial, global. Et cette étude aussi. Ce travail remarquable a donné lieu à une publication "Crise alimentaire et environnement: le rôle de l'environnement dans la prévention des crises alimentaires"
Ce document du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) fait le point sur la crise alimentaire actuelle et son rapport à l’environnement.
Parmi les points abordés relevons quelques aspects fondamentaux.
- Des pertes et gaspillages énormes.
Ainsi la notion de perte et de gaspillage de denrées alimentaires est-elle quantifiée et elle est énorme (pages 30 à 33): « Vers la fin des années 1990, les agriculteurs produisaient en moyenne l’équivalent de 4600 kilocalories par personnes et par jour…et au bout de la chaîne 2000 kilocalories en moyenne - soit 43% seulement des récoltes comestibles potentielles sont disponibles pour la consommation (source : Lundqvist et coll 2008) »
Les incidences du gaspillage sont multiples. Ainsi « s’il n’y avait pas de rejets alimentaires au Royaume –Uni, cela équivaudrait à retirer de la circulation un véhicule sur cinq » (WRAP, 2007)
- Les terres nécessaires : Une projection indique qu’e
« Il faudra une superficie supplémentaire de 120 millions d’hectares, soit le double de la superficie de la France (p 37) pour pouvoir faire face à l’accroissement normal de la production alimentaire d’ici 2030 ».
« Le calcul du ratio zones bâties/terres cultivables donne 3,5 % en 2000 / 5,1 % en 2030 et 7% en 2050…Si toutes les zones bâties supplémentaires venaient à s’établir aux dépends de terres agricoles, la superficie cultivable totale reculerait de 0,37 million de km2 d’ici à 2030 » (p 41)
- La dégradation des sols : « 2 milliards d’hectares de terres agricoles ont subi une dégradation causée par le déboisement et diverses pratiques agricoles inadéquates » (p 42-43)
- Les changements climatiques : Il faut regarder attentivement les cartes (p 48 - 49) qui ont modélisé les changements climatiques à l’horizon 2080. « Le potentiel agricole mondial devrait régresser de 6 à 16% » Il pourrait augmenter en Europe jusqu’à 15%.
Impacts des infestations sur les rendements, baisse de la nappe phréatique, fonte des glaciers, rendent les prévisions pas très optimistes.
Surtout si le modèle agricole intensif, chimique persiste. On estime à « plus de 4000 espèces de plantes et d’animaux menacées par l’intensification de l’agriculture » (p 67)
À la lecture des cartes ( p 72 –73) on mesure le niveau de pertes énorme de biodiversité (impact élevé en France).
D’où une conclusion évidente: le modèle actuel n’est pas le bon.
Revenons au "local".
L'agriculture paysanne de proximité réduit considérablement les pertes, les pollutions, les transports, sauvegarde les paysages etc...
Lorsqu’il y des terres, de l’eau, du soleil, des consommateurs, des agriculteurs, n’est-il pas essentiel de faire que ces terroirs (et oui) retournent à la production pour nourrir les populations ?
* Michaël POUZENC : est membre du laboratoire "Dynamiques rurales" à l’Université de Toulouse II,et travaille sur l’organisation des territoires ruraux et sur le commerce alimentaire.
* Jean PILLEBOUE : a travaillé sur les rapports entre produits dits "de qualité" et territoire, à la fois comme chercheur et comme expert au Ministère de l’Agriculture, puis de l’I.N.A.O.