Une centrale photovoltaïque à Levens (06) au profit d'une multinationale monégasque

Publié le par les perdigones

Une centrale photovoltaïque à Levens, à l'horizon 2021, voilà ce qui a été présenté au conseil municipal le 19 décembre 2018. Levens, petite ville de 5000 habitants des alpes maritimes, va-t-elle se convertir aux énergies renouvelables ? Va-t-elle produire de l'électricité verte pour le bénéfice de ses habitants ? C'est ce que l'on pourrait imaginer. La réalité est bien différente.
CE QUI A ÉTÉ VOTÉ

Ce qui a été voté (1) au conseil municipal c'est une promesse de bail emphytéotique (2)( voir en lien la promesse de bail) de 36 ans portant sur 20 à 25 hectares de terrains communaux, en zone naturelle sur le Mont Arpasse, au profit de la société Monaco Energies Renouvelables.

A charge de la société de faire les études de faisabilité,  pour pouvoir construire et exploiter un parc solaire photovoltaïque au sol d'une puissance de 15 MWc (mégawatt crête = puissance maximale théorique), avec une estimation de production de 22,5 Gigas Watt/h par an, soit la consommation estimée d'une ville de 5 000 Habitants, selon les chiffres avancés dans la délibération ( délibération en lien). 

Si, à l'issue des études et de l'obtention des autorisations administratives la société monégasque estime le projet viable, c'est elle qui le construira, clôturera les 25 hectares et l'exploitera, après avoir réalisé sur ce site naturel tous les accès routiers nécessaires. La commune recevra en contrepartie un loyer annuel de 100 à 125 000 €.

Et en attendant, pendant toute la durée des études ( la promesse de bail est valable 3 ans, et susceptible de prorogation ) les 20 à 25 hectares communaux du Mont Arpasse seront mis gracieusement à disposition de la société monégasque ...

Et le cadeau fait par la commune ne s'arrête pas là: la promesse de bail comporte de nombreuses conditions suspensives pour le futur exploitant, aucune pour la commune.

AUCUNE ÉLECTRICITÉ VERTE POUR LES HABITANTS DE LEVENS 

C'est la société monégasque qui construira le parc photovoltaïque, c'est elle qui en sera propriétaire, l'exploitera et en retirera tous les bénéfices, en revendant l'électricité à l'opérateur public (ENEDIS).  C'est elle aussi qui aura la libre jouissance des terrains de l'Arpasse, mis à disposition par le bail. Elle y fera ce qu'elle voudra, comme elle voudra. 

Contrairement à ce que le maire et certains laissent croire, il n'est aucunement prévu d'alimenter la commune de Levens en électricité grâce à la centrale solaire. Rien n'est écrit de tel, ni dans la délibération, ni dans la promesse de bail. La société monégasque n'est soumise à aucun engagement à ce sujet. Sa seule obligation: le versement d'un loyer pendant 36 ans, à compter du début de la construction de la centrale, si le projet se fait.

Ensuite, et seulement ensuite la commune pourra récupérer le site et l'exploiter si elle le désire, pour de l'autoconsommation ou pas. Mais dans quel état sera t-il ?

La durée de vie des panneaux solaires est aujourd'hui d'environ 35 ans, cela veut dire que si le commune veut exploiter la centrale à l'issu du bail ( en 2057, c'est à dire 36 ans après  2021), elle devra refaire tous les investissements . 

En attendant, jusqu'en 2057, le Mont Arpasse est privatisé. 

DES PROFITS JUTEUX POUR LA SOCIÉTÉ MONÉGASQUE 

Actuellement le service public de l'électricité est contraint d'acheter toute l'électricité solaire, dès qu'un producteur se présente, à un prix fixé d'avance par l'Etat. Un engagement pour favoriser le développement des énergies renouvelables.

Bonne affaire pour les multinationales, car les engagements sont pris sur 20 ans au moins et le prix d'achat imposé à l'opérateur public est toujours très supérieur à celui de la revente sur le marché de gros (EPEX Spot) de l'électricité. 

L' afflux de production d'électricité solaire se produit en plein jour, plein soleil, au moment où la demande est la moins forte. Or il n'existe aucun moyen de stockage de ces grandes quantités d'électricité. Contrairement à la loi de l'offre et de la demande qui prédomine dans le monde industriel, l'opérateur public va devoir revendre cette électricité sans attendre, et donc la plupart du temps, à perte. Ces pertes étant compensées par les finances publiques,  la taxe de contribution au service public de l'électricité (CSPE) que paye le consommateur sur sa facture d'électricité... 

Saisie par les sénateurs, la Cour des comptes s'est penchée sur le soutien public aux énergies renouvelables. Dans leur rapport, rendu public le 18 avril 2018, les magistrats critiquent fortement les dispositifs mis en place. Ils estiment que les pouvoirs publics devraient être plus vigilants sur la rationalité économique des décisions prises et sur le bon usage des deniers publics.

Ils soulignent la disproportion du soutien aux différentes filières d'énergies renouvelable. Ainsi le soutien aux énergies renouvelables électriques (4,6 Milliards d'€ au total pour l'année 2016) se faisant au détriment des énergies renouvelables thermiques (690 Millions d'€ en 2016).

Ils dénoncent aussi la déconnexion entre le montant des dépenses de soutien engagées par l'Etat, notamment pour le solaire photovoltaïque, et la production effective concernée. A titre d'exemple les garanties accordées pour les seuls contrats signés avant 2011 pour le solaire photovoltaïque représentent une subvention de l'ordre de 480 €/MWh et un montant global de 38,4 milliards d'euros de "subventions " pour une production qui ne représente que 0,7% du mix de l'électricité totale produite en France. 

Poussé par la Cour des Comptes, l'État a baissé, depuis 2010, les prix d'achat du solaire industriel aux multinationales de l'énergie et modulé ses aides. Ce qui n'empêche pas que l'estimation du taux de rentabilité d'un champ de panneaux photovoltaïques au sol reste encore considérable, grâce aux finances publiques qui incitent les exploitants à produire même quand l'offre d'électricité est excédentaire.

CE QUE LA COMMUNE DE LEVENS AURAIT PU FAIRE ...

 

La commune de Levens aurait du, si elle voulait faire du solaire, favoriser le solaire sur les bâtiments publics et privés.

Elle aurait pu aussi devenir elle-même l'opérateur. Ainsi l'argent public aurait bien plus rempli la caisse communale qu'elle ne le fera par le loyer annuel si le projet se réalise. Une opportunité de retrouver un peu de moralité financière et de financer les investissements communaux, par transfert de fonds des finances publiques d'État aux finances publiques communales.

  • Comme la commune de Ventabren

A Ventabren, à 50 km de Marseille, la commune et les habitants co-développent une centrale solaire au sol. La société porteuse du projet, Solaris Civis, fonctionne en gouvernance partagée entre citoyens, commune, et SEM (société d'économie mixte). Les groupements citoyens et les collectivités locales maîtrisant plus de la moitié du capital, ils sont majoritaires dans les décisions. De cette manière, c'est l’intérêt du territoire qui prime sur les intérêts privés et extérieurs, contrairement à ce qui est prévu  à Levens.

A noter que le potentiel initial du site atteignait 12 Mw mais ils ont choisi de limiter sa puissance à 5 Mw pour réduire son impact environnemental (réduction de l'emprise de la centrale à 6 ha).

CENTRALE SOLAIRE SUR LE MONT ARPASSE: UN IMPACT ENVIRONNEMENTAL INQUIÉTANT

 

Une centrale photovoltaïque à Levens (06) au profit d'une multinationale monégasque

Le site de l’Arpasse est visible depuis le vieux village de Levens,depuis de nombreuses communes et sites touristiques: la Roquette sur Var, Bonson, le Broc, la Madone d'Utelle...

Or si certains champs de panneaux photovoltaïques au sol ne posent guère de problème dans notre région, les exemples du contraire sont nombreux. Ainsi celui des Mées (04) est d'une absolue abomination paysagère et celui de Curbans (04), impacte violemment, surtout par ses reflets solaires, le site classé du lac de Pelleautier (05).

 

Centrale solaire des Mées (04) . photo Matthieu Colin

Centrale solaire des Mées (04) . photo Matthieu Colin

La centrale photovoltaïque de Curbans, dans les Alpes de Haute Provence. (BERTRAND BODIN / ONLY FRANCE)

La centrale photovoltaïque de Curbans, dans les Alpes de Haute Provence. (BERTRAND BODIN / ONLY FRANCE)

Sans étude d'impact paysagère de co-visibilité et sans étude d'impact sur l'environnement, on ne peut que préjuger des inconvénients du projet levensois face au maigre avantage du loyer pour les finances de la commune. Là encore il aurait été bon que les élus de Levens qui ont approuvé cette promesse de bail ne s'engagent pas si rapidement, sans réelle étude environnementale préalable. 

Et quel avenir pour l'éleveur ovin à qui la commune baillait le pâturage sur ses terrains à l'Arpasse ? La promesse de bail faite à la société monégasque par la commune précise bien que ce contrat vient à échéance en 2021. L'éleveur devra ensuite composer avec la société monégasque. On sait ce que cela donne ailleurs, l'accès des ovins se fait ponctuellement, une ou deux fois par an pour débroussailler sous les panneaux solaires, à la demande et aux conditions de l'exploitant du site. Rien à voir avec le libre pâturage actuel.

Quant aux promeneurs, chasseurs, randonneurs équestres et adeptes du vtt, circulez ailleurs. Le plateau du Mont Arpasse, clôturé, vous sera interdit.

Prochain rendez-vous: lundi 8 avril à 19h au conseil municipal de Levens (préalablement annoncée pour le 21 mars, la date a été reportée).

Le Projet du Plan Local d'Urbanisme Métropolitain va y être présenté au vote des élus (3). Il prévoit que la zone de l'Arpasse, actuellement en zonage agricole de pâturage, soit transformée en zonage pour du photovoltaïque industriel. 

 

 NOTES 

(1)Le vote au conseil municipal du 19 décembre 2018:

4 voix contre, Ariane Masséglia, Fred Salas, Josette Bouchon et Jean Claude Intartaglia (groupe d'opposition "Levens pour Tous")

Le reste du conseil municipal ayant voté pour, c'est à dire la majorité municipale du groupe Antoine Véran et deux élus du groupe d'opposition "Levens pour tous" (Alain Dody et Jean Luc Lopez)

(2)définition bail emphytéotique

Un bail emphytéotique (appelée aussi emphytéose) est un bail de longue durée, d'au moins 18 ans et d'au plus 99 ans. Il s'agit d'un droit réel immobilier, qui doit faire l'objet d'une publicité foncière, et qui peut être saisi ou hypothéqué. Le preneur peut également sous-louer les biens pris en location ou louer les immeubles qu'il a construits. (source: https://droit-finances.commentcamarche.com)

(3) Le Projet de PLU Métropolitain mis au vote le 8 avril 2019 du conseil municipal de Levens

Il sera ensuite présenté aux habitants en enquête publique, probablement d'ici la fin du 1° semestre 2019, mais la date n'est pas connue à ce jour.

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S
Très bel article, très intéressant. Je reviendrai me poser chez vous. A bientôt.
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A
Mêêêhh !!! Si, on sait faire remonter l'eau des rivières vers les lacs de haute montagne grâce au surplus d'électricité produit le jour, et la restituer la nuit. C'est curieux, la ligne Saint Isidore-Bancairon qui traverse le site de l'Arpasse vient juste d'être refaite par ERDF !!!<br /> Ce qui est regrettable, c'est que nos brebis Levensoises en pâtissent, et que bien sûr une entreprise privée en fasse grands profits
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