III - Centrale Photovoltaïque de Monaco à Levens (06) : La Biodiversité compte pour rien

Publié le par les perdigones

          Le site de l’Arpasse est une zone d’intérêt écologique, au cœur de la trame verte et bleue selon les documents d’urbanisme (PLUMétropolitain). Il accueille des espèces protégés, mais peu importe, les décideurs modifient arbitrairement le zonage et demandent aux espèces de s’adapter, de déménager ou de disparaitre. Ou comment prendre prétexte des enjeux climatiques pour accentuer encore la prédation de l’homme.

          Dans ce dossier : le choix par une entreprise monégasque de faire une centrale photovoltaïque au sol sur le site de l’Arpasse à Levens, la biodiversité n’a pas pesé bien lourd, c’est un euphémisme.

           Au moins trois raisons justifient cette grave affirmation :

  • 1-Si nous accordons autant d’importance à la biodiversité et trouvons ce projet scandaleux à la vue des enjeux, c’est qu’il y a bien d’autres solutions pour faire de l’énergie photovoltaïque (voir nos articles précédents, les recommandations de l’ADEME, les doctrines régionales et départementales…).

Alors que pour ne pas avoir un impact négatif sur celle ci, la seule solution c’est de laisser en l’état ce milieu. Ce que ne fera pas ce parc de près de 12 hectares qui transformera irrémédiablement 20 hectares d’espace naturel (débroussaillage de 8,5 hectares sur tout le pourtour du parc, installations sur les 11,7 hectares du parc devenus constructibles - creusement de tranchées, clôtures, installations de panneaux sur socle, constructions, activités humaines etc.)

  • 2-Face aux modifications que le projet provoquera sur la zone et alentours, il n’y a que des réponses administratives (changement de zonage, autorisations (dérogations) à la perturbation des écosystèmes etc.) et pas de réponse écologique (exemple vraies mesures d’évitement).

  • 3-L’historique du choix du site, et de son évolution au gré du PLU de Levens, puis du PLU métropolitain. (Plan Local d’Urbanisme qui définit les zones d’un territoire et ce que l’on peut y faire)

La biodiversité et les écosystèmes, c’est la vie

          Quelques définitions pour bien comprendre de quoi il s’agit.

« La biodiversité désigne la diversité des formes vie sur Terre ainsi que les écosystèmes accueillant ces êtres vivants. Elle comprend toutes les interactions de ceux-ci à tous les niveaux d’échelles. De nombreux écosystèmes fournissent des services essentiels à notre bien-être collectif, ils permettent de réguler le climat en créant un équilibre à la base de la vie sur Terre. La biodiversité et tout ce qu’elle englobe sont donc indispensables au bon fonctionnement de notre planète ». (voir note 1 en fin d’article)

          Et la situation est catastrophique:

          Ainsi selon le rapport « Planète Vivante » du World Wide Fund for Nature (WWF) « en 50 ans les populations d’animaux sauvages ont chuté de 69% » et malheureusement ce chiffre s’accroît d’année en année. Un million de plantes et d’animaux sont menacés d’extinction. Et pour beaucoup la sixième extinction des espèces est déjà là. Selon l’IPBS (le « GIEC de la biodiversité ») « une espèce sur huit est en danger de mort». Pour des infos complètes à ce propos voir le rapport de L’IPBS( note 2 en fin d’article)

          Ce qui produit des dommages graves pour l’homme. Par exemple récemment un article du journal le monde faisait le lien entre la perte de la biodiversité et la mortalité. Un demi-million de morts par an seraient dus à la perte d’insectes pollinisateurs (https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/01/20/un-demi-million-de-morts-par-an-seraient-attribuables-au-declin-des-insectes-pollinisateurs_6158647_3244.html)

 

La centrale de l’Arpasse, au cœur de la trame verte et bleue

          Pour protéger les milieux, les espèces, il a été créé dans les documents d’urbanisme, des trames vertes et bleues qui sont des parties de territoire essentielles au maintien de la biodiversité.

          Voici la définition qu’en donne le ministère de l’écologie, de la transition  « La trame verte et bleue (TVB) est une démarche qui vise à maintenir et à reconstituer un réseau d’échanges pour que les espèces animales et végétales puissent, comme l’homme, circuler, s’alimenter, se reproduire, se reposer… et assurer ainsi leur cycle de vie. » (https://www.ecologie.gouv.fr/trame-verte-et-bleue)

          Et l’on vous le donne en mille, la supposée centrale Photovoltaïque est au cœur de la trame verte et bleue. Elle est même au cœur de la zone où l’enjeu écologique est le plus fort

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la zone "Nas" (Naturelle Solaire) est vert foncé sur la Trame verte et Bleue, c'est le classement d'enjeu écologique le plus fort avec les corridors écologiques = réservoir de biodiversité.

 

De nombreuses espèces en danger

          Les naturalistes savent l’importance du site. Lorsqu’on lit l’avis de la Mission Régionale de l’Autorité Environnementale, on apprend que « le porteur de projet déposera une demande de dérogation à la préservation des espèces protégées concernant :

• trois espèces d’insectes: Magicienne dentelée, Damier de la Succise et Zygène de l’Esparcette ;

• six espèces de reptiles : Lézard ocellé, Couleuvre verte et jaune, Lézard à deux raies, Lézard des murailles, Coronelle girondine, Psammodrome d’Edwards ;

• huit espèces d’oiseaux (Bruant ortolan, Chardonneret élégant, Fauvette pitchou, Linotte mélodieuse, Pie-Grièche écorcheur, Pipit rousseline, Serin cini, Tarier pâtre). » (pages 14/15) .

          Dit autrement, il va être demandé de ne plus préserver ces espèces et donc, en détruisant leur milieu, de pouvoir les détruire.

          Parmi ces espèces, certaines sont en forte régression comme le Bruant ortolan, d’autres comme le Damier de la Sucisse sont sur la liste rouge des espèces menacées et sont protégés par la convention de Berne, la Linotte mélodieuse est protégée par la loi du 10 juillet 1976 et par l’arrêté ministériel du 29 octobre 2009.

          Quand au Lézard ocellé, il fait partie des sept espèces de reptiles menacés de d’extinction en France et donc est strictement préservé. Il est considéré comme « quasi menacé » (NT) sur la liste rouge mondiale de l'UICN au niveau européen (2011) et « vulnérable » (VU) sur la liste rouge française (2015). Il est interdit de le détruire, de le déplacer, le mutiler, altérer ou dégrader son milieu. 

Timon lepidus (lézard ocellé) - photographe Lanzi

          Sans compter la présence sur la commune d'une dizaine d'espèces de chauve-souris, dont toutes sont vulnérables et protégées en France et parmi elles, qui fréquentent le site (zone de chasse),  les Grands et Petits Rhinolopes et le Murin de Capaccini, très rare dans notre région et dont un gîte d'intérêt majeur  se trouve à proximité. mais aucune demande de dérogation n'est même envisagée. 

Murin de Capaccini, photo Joxerra Aihartza

          Pour mieux connaître toutes les espèces en question voir les note 3 et 4, en fin d’article

 

Des dérogations pour les espèces, et l’on déclasse la zone à fort enjeu écologique 

          Les réponses apportées par les concepteurs de projet ne sont pas des réponses écologiques, naturelles, mais des pirouettes administratives.  Ainsi la zone qui était zone 1 à enjeu écologique très fort sera transformée en zone 4 à enjeu écologique faible.

          Ce qui a été choisi n’est pas une mesure d’évitement. Elle seule constituerait un moyen d’atteindre l’objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité et l’objectif de zéro artificialisation nette qui sont deux objectifs- phares de la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dite loi biodiversité.(guide pour la mise en œuvre de l’évitement fait par le ministère de la transition écologique en 2021) 

          Non ce qui est fait là est un tour de passe passe, « enjeu écologique très fort, réservoir de biodiversité » deviendra sur le papier « milieu anthropisé ». Voilà tout.

Tour de passe passe et suppression de la zone réservoir de biodiversité de la trame verte et bleue sur le site du projet

 

         

          Et les espèces protégées ? Celles pour lesquelles il ne faut rien faire d’autre que les laisser vivre dans leur milieu ? Celles qui bientôt n’existeront plus à cause de l’artificialisation des terres, les massacres des milieux, que fait-on pour elles?

          Il sera  demandé une dérogation, qui bien sûr n’en doutons pas, sera accordée.  L’article L411-2 du code de l’environnement prévoit « que l’on puisse déroger aux dispositions prises pour la protection des espèces susmentionnées à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisantes et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. »

          On ne se fait aucune illusion sur ce point, encore une fois la perte de la biodiversité sera déplorée dans les études, les rapports, les articles de presse, mais …on pourra continuer à détruire les milieux, celui de l’Arpasse en l’occurrence.

Le site, le projet, une histoire édifiante.

          Au gré des volontés des décideurs, le site de l’Arpasse a changé de caractéristiques administratives au fil des documents d’urbanisme. Il a été Zone Naturelle dans les différents POS (Plans d’occupations des Sols) depuis 1990, jusqu'en 2012, où il est devenu Zone Agricole Pastorale dans le PLU de Levens (quand il fallait montrer qu’il y avait beaucoup de zones agricoles sur la commune). Il est redevenu fin 2019, zone Naturelle dans le  PLU métropolitain, mais cette fois sous la dénomination de "Zone Naturelle Solaire" ce qui est encore une invention sans fondement autre que plus de facilité pour plier une zone au désir de quelque décideur.

          On a commencé à édifier sur ce projet à partir de la promesse de Bail Emphytheotique signée entre la commune de Levens et la société monégasque en 2018. Il est intéressant de relire ce texte. Extrait:

"ARTICLE 6 - ETUDE DE FAISABILITE
Le PROJET ne sera réalisé que sous réserve qu'une étude permette d'en établir la faisabilité technique
et juridique et sa viabilité économique.
L'étude de faisabilité, dirigée par et à la charge du BENEFICIAIRE, pourra notamment comprendre les points suivants:...
...Réalisation d'une étude d'impact sur l'environnement, ......"

          Donc en 2018,  il est dit clairement que l’étude environnementale n’est nullement prioritaire.

           La première étude n’apparaîtra d’ailleurs qu’en 2020 c’est à dire bien après le choix du site (Etude NCA d’identification des sites mobilisables pour le développement de la filière photovoltaïque – déc 2020 (LIEN).

          Identification des sites mobilisables en Zones urbaines et anthropisées? Que nenni! Il ne s'agit là que de lister des implantations en zones naturelles.

          Etude d’identification ? Non, étude de justification ! Car tout ce qui y est dit est faux, à commencer par la note impact biodiversité donnée au site de l'Arpasse , qui ne prend pas en compte son classement "en enjeu écologique très fort, réservoir de biodiversité" , dans la Trame Verte et Bleue, et qui minimise sa proximité avec des zones de protection forte,  Natura 2000,  ou d'autres Zones de Protection Spéciales , Zone Importante pour la Conservation des Oiseaux etc.

          Dernier point, un peu d’humour (noir…). Depuis l’été 2022 est lancée par la Métropole Nice Côte d’Azur la « concertation pour la révision du PLUM ». On lit entre autre, en préambule, que cette révision « introduit, des mesures spécifiques de lutte contre l’artificialisation des sols avec pour objectif de réduire de moitié l’artificialisation des sols dans les 10 prochaines années afin de tendre à un objectif de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050. Dans ce contexte, une nouvelle stratégie métropolitaine doit être élaborée… en faveur d'ouvertures à l'urbanisation circonstanciées et d’une mise à jour des spécificités, notamment les trames vertes, noires et bleues."

          No comment, tellement on n’en prend pas le chemin.

 

Notes

1)https://etatssauvages.wixsite.com/etatssauvages/post/planete-vivante

2)https://ipbes.net/sites/default/files/2020-02/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers_fr.pdf

3) Les dérogations qui vont être demandées, c'est-à-dire droit de destruction, pour les espèces suivantes :

       Reptiles

       Insectes

       Oiseaux

4) Et pour les Chauve souris, aucune demande de dérogation n'est envisagée !

 

 

 

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