Inondations dans le Var : « ON N’AVAIT JAMAIS VU ÇA ? »
Contrairement à ce qui a été dit les premiers jours, les récentes inondations dramatiques de Draguignan et de sa région ne sont pas les premières.
Au delà de la discussion sur la rareté de l’événement Nicolas Camphuis directeur du Centre Européen des Risques Inondation propose de s’interroger sur la « capacité des territoires à supporter les inondations ». Il fait remarquer que nous n’acceptons pas pour les incendies, (risques pourtant bien plus rares) ce que nous acceptons pour les inondations, à savoir : des morts.
Pourtant les événements graves se multiplient et les mêmes erreurs continuent en toute impunité.
« On n’avait jamais vu ça ». Que n’entend-on pas cette phrase, à propos de chaque catastrophe. C’est le cas encore cette fois dans le Var où des inondations ont fait au moins 25 morts et des dégâts considérables.
Malheureusement cette phrase ne dit pas toute la vérité. Certes les personnes, traumatisées, énoncent ce qui est, ce qu’elles ont vu, ce qu’elles ont vécu.
Mais ce qui est vrai pour elles, ne l’est pas en général.
Le problème c’est quand « on n’avait jamais vu ça » est repris par tout le monde, élus, techniciens, journalistes. Car ce n’est pas vrai.
Ce n’est pas vrai pour deux raisons :
- Parce que les régions touchées l’ont souvent été par le passé. Et c’est le cas de Draguignan.
- Et aussi parce que ce type d’événements ne s’est pas produit que là. C’est souvent arrivé par le passé, ailleurs, et survient de plus en plus aujourd’hui, dans de nombreux endroits.
La façade méditerranéenne et l’arrière pays, par exemple, sont coutumiers de pareilles précipitations et catastrophes
IL N’EST PAS VRAI QU’ON N’AVAIT JAMAIS VU ÇA
Prenons l’exemple de Draguignan. Lorsque Nicolas Demorand pose ce matin 16 juin (France Inter journal de 8 heures) la question à Olivier Audibert, maire adjoint et président de la communauté d’agglomération, « faut-il redessiner Draguignan ? » que répond l’élu ? « Non je ne pense pas qu’il faille redessiner Draguignan, on n’a jamais connu ce genre de phénomène météorologique ».
Or ce n’est pas vrai.
- « Très paisible dans sa modestie, la Nartuby paraît n'avoir jamais eu de colère, le 06 juillet 1827, elle eut un débordement subit et violent, faisant des victimes. » dit cette plaquette touristique sur la rivière Naturby. Et plus loin: « Les communes de Draguignan et de Trans, quoique hors de l'action immédiate du météore orageux ont éprouvé des dommages importants dans leurs territoires respectifs. Elles ont eu même le malheur particulier de compter des victimes... »
- Contrairement à ce qui a été dit, des crues, il y en a eu, et les menaces étaient soulignées par le PPRI. C’est ce que relève un article de "Planète Infos":
« Le Plan de Prévention des Risques inondation (PPRI) pour la Nartuby pointe depuis des années "de graves problèmes en cas de crue majeure" dans la commune de Draguignan où la plupart des victimes ont été retrouvées. De surcroît, de nombreuses crues (1974, 1988, 1994, 1996, 2000) ont déjà alerté sur la vulnérabilité de cette zone en cas de précipitations exceptionnelles. »
950 MM À VALLERAUGUE, 650 MM À LEZIGNAN
La mémoire des événements est essentielle. Ainsi Nîmes l’a payé cher, 10 morts et beaucoup de dégâts pour ne pas s’être souvenue de son passé.
Ce document qui remonte au moyen-âge fait apparaître des dizaines de pluies intenses et d’inondations.
Car, les pluies exceptionnelles ne sont pas rares en méditerranée. voir ce dossier de Météo France sur les phénomènes de pluies intenses.
L’année 1999 a été particulièrement terrible dans le Sud de la France avec des hauteurs d’eau qui dépassent les 300 mm du département du Var. Ainsi les 650 mm à Lézignan (Aude). (voir)
Le document ci-contre (cliquer dessus pour l'agrandir) recense les précipitations exceptionnelles en PACA et Languedoc. C’est tout simplement édifiant.
Tout comme cet autre document qui porte à près de 500 le nombre des crues historiques dans le Gard en moins de 800 ans (pdf).
D'un ancien recueil des crues historiques établi par la DDE du Gard pour la période 1225-1958, nous citerons encore:
*" Le plus fort abat d’eau enregistré scientifiquement en 10 heures (record français métropolitain), soit 950 mm à Valleraugue les 28 et 29 septembre 1900."
* "La crue la plus meurtrière : 105 morts le 11 octobre 1861 à Bordezac."
A noter que ce recueil n’est pas exhaustif puisque l’inondation la plus importante de la période étudiée (Nîmes 9 septembre 1557) n’y figure pas, ni non plus les années postérieures à 1958...
DE L’EAU DE RUISSELLEMENT QUI ...DESCEND !
On sait ce qui s’est passé dans le département du Var. De l’eau de ruissellement a dévalé de 600 mètres plus haut jusqu’à arriver au niveau de Draguignan (200 m d’altitude), puis jusqu’à la mer. Le sol argileux, les failles, ont accéléré le phénomène. Ce qui l’a aggravé, ce sont les constructions. De 1968 à 2006, la population de Draguignan a doublé. Des constructions ont poussé partout, y compris en zone inondable.
Pour s’en rendre compte il suffit de comparer deux documents fournis par le PPRI Draguignan la Nartuby. L’un montre les zones inondables, l’autre l’urbanisation de la commune.
De l’eau de ruissellement, voilà un cas de figure mal pris en compte, et sous-évalué. Pourtant dans une interview au journal" La Croix ", Laurent Roy, directeur de la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement de Provence-Alpes-Côte d’Azur, explique « aucun sol ne peut absorber des pluies aussi intenses s’abattant sur des collines très pentues. Le ruissellement devient inévitable. »
Les catastrophes se répètent, les morts s’additionnent et comme le dit la ministre Chantal Jouanno « on court après la réalité »
Pourtant il suffit de lire les journaux et les courriers des lecteurs pour mesurer le niveau de clairvoyance des gens. Ainsi Michel Gration dans « Le Monde » écrit :
« Risques naturels ? Le bétonnage des sols, le calibrage des rivières sont des facteurs aggravants de risques qui existent. Certains maires, certains préfets, certains architectes, certains fonctionnaires des ponts et chaussées sont des criminels impunis. Pour faire "plaisir", pour accroitre la population, pour "faciliter" les déplacements, pour faire "plus beau", ils suppriment tous les espaces d'épanchement de l'eau. Alors cette dernière fonce vers l'aval en détruisant tout. »
LA CULTURE DU RISQUE INONDATION: INSUFFISANTE
Un pré-rapport sur Xynthia et les inondations vient d’être publié par le Sénat. Il reconnaît que « la France a une mauvaise gestion des risques naturels ». (voir l'article du "Monde" le 17 juin 2010)
Ce pré pré-rapport estime que « l’urbanisation excessive dans des zones sensibles, la déficience des digues et de leur gouvernance, la complexité des dispositifs d’alerte et de prévision sont des questions débattues depuis des années, mais dont les réponses, souvent quasi unanimes, restent lettre morte ». C’est ce qu’écrivent Bruno Retailleau, sénateur non inscrit de Vendée et Alain Anziani, sénateur PS de Gironde, respectivements président, et rapporteur, de la mission d’information.
La mission d’information a auditionné un certain nombre de spécialistes, dont Nicolas Camphuis, directeur du centre européen des PPRI (CEPPRI). Son audition a durée 2h15. On peut l'écouter
Quelques extraits :
- « Vous n’acceptez pas sur l’incendie une chose que vous acceptez pour l’inondation »...
- « Pour les biens, 25 cm d’eau ou 2,50 mètres, si l’eau reste plus de 36 heures dans une maison, les dommages sont les mêmes »...
- « Le meilleur moyen d’avoir zéro dommage, c’est de ne pas être dans la zone inondable »...
- « En Angleterre, les assureurs vous répondrons - si vous voulez vous installer là , ce n’est pas rentable , je ne vous assurerai pas »...
- « Quand on construit, personne n’utilise le rapport coût (catastrophes) / bénéfices. L’inondation n’est pas humainement et économiquement acceptable »...
Pour Nicolas Camphuis, la note d’espoir vient de la Directive Directive Européenne inondations de 2007: "Une opportunité à ne pas louper", ainsi qu'il l'analyse .
Bien sûr le risque existe, et existera toujours, mais « Quel est le niveau de risque que nous jugeons acceptable. Nous n’avons pas de stratégie de prévention nationale des PPRI ».
Des PPRI qui de plus en plus, sont considérés comme insuffisants ainsi que le dénonce France Nature Environnement, dans un communiqué.
A NICE, ON CONSTRUIT SUR UN FLEUVE (LE PAILLON)
ET ON EN ENDIGUE UN AUTRE (LE VAR)
Nous avons déjà exposé la plupart de ces idées dans des articles de ce blog.
Et oui, les PPRI actuels « sont insuffisants ». Et oui, il n’est pas normal, surtout dans ces régions (Le Sud !) que les maires signent les permis de construire...
Et oui, l’eau de ruissellement quand elle descend des pentes, c’est dangereux. Les remontées de nappe aussi, c’est dangereux. Les constructions ça accélère l’eau.
C’est ce que nous soulevons pour le secteur de l’Orte que le maire de Levens et la communauté Urbaine de Nice veulent dédier à des immeubles. Quand on a alerté sur les risques (Préfet, Christian Estrosi, élus,) on nous a répondu « logement social ».
Depuis, il y a même des gens « bien intentionnés » qui font courir le bruit que les photos d’eau sur l’Orte que nous montrons (certaines sont sur le blog), et bien ces photos là nous les aurions trafiquées. Voilà, le niveau de la réflexion, du sens des responsabilités et du débat, dans ce coin des Alpes Maritimes à 18 km de Nice.
Mais qu’attendent-ils ces gens bien intentionnés pour nous attaquer pour « faux, usage de faux et faux témoignage » ? Bien sûr, ils se gardent bien de le faire car ils savent que ce que nous montrons est vrai.
Au fait, Nice fait faire des digues pour mâter le fleuve Var et utiliser son lit.
Au fait, sur son autre fleuve (le Paillon), Nice a bâti un centre d’art contemporain, un théâtre, un lycée, un parc d’expositions, un parking, une gare de bus, une cinémathèque, et un centre de conférences (Acropolis, où s’est tenu le sommet Africain) . (C'dans l'air/Inondations - sur la 5, le 17 juin 2010).
Nicolas Camphuis suggère une idée
« Et si ce qu’il fallait envisager, ce n’était plus la fréquence des catastrophes, mais la capacité des territoires à les supporter. »
Pour ceux qui souhaitent s'informer plus avant sur la gestion de l'eau, sur le département du Var et sur le fleuve Var, nous conseillons d'écouter une conférence de Georges Olivari, faite en 2003. ( Georges Olivari est maître de conférence à l'université de Marseille et directeur de la "Maison Régionale de l'Eau" à Barjols (83)
Il est clair que, s’il survient dans ce coin des Alpes Maritimes l’épisode de Draguignan, (ou pire comme on l’a vu), on préfère ne pas imaginer les conséquences.
Quant à L’Orte, cette terre doit servir à l’agriculture et à lutter contre les inondations. Nous le disons encore dans le tract que les membres des Perdigones étaient en train de distribuer à toute la population de Levens, au moment des évènements tragiques de la région de Draguignan.