UNE LOI, AU SECOURS DES TERRES FERTILES ?
Malgré quelques initiatives, la tendance à la disparition des terres fertiles s’accentue. Si l’enjeu est bien national, c’est à une future loi de régir cette question.
Qui oserait annoncer qu’il faut condamner les terres fertiles ? Pas un seul responsable politique, pas un seul décideur.
POUR, DANS LES DISCOURS
CONTRE, DANS LES ACTES
Et pourtant lorsqu’on regarde la réalité de terrain, ces meilleures terres (arables) sont attaquées de toutes parts.
Il suffit de rappeler quelques chiffres. 90% des espaces artificialisés proviennent des zones agricoles et ceux qui ont les meilleures potentialités agronomiques (44% des terres arables) sont les plus touchés. voir notre dernier article-"les-enjeux-de-la-defense-des-terres-fertiles"
Dans les Alpes Maritimes, c’est un tiers de la superficie agricole qui a été perdue en 10 ans et à Levens (06) siège de l’association « Les Perdigones » le Plan Local d’Urbanisme en cours, classe en agricole des terres sans valeur agronomique alors qu’il sacrifie une partie de la quinzaine d'hectares de terres arables (à L’Orte, la Madone, la Gurra). Le peu d’intérêt des responsables en charge de ces questions est tel qu’ils essaient de faire croire qu’il serait impossible de protéger quelques hectares sur une superficie communale de 3000 hectares.
Donc, personne ne veut condamner les terres fertiles à la disparition, mais elles disparaissent.
De plus en plus vite. Et en tous lieux. Lire cet article du "Canard Enchaîné" du 9 mai dernier " Gare aux bouffeurs d'hectares" ICI
Pourtant l’utilité des bonnes terres n’est pas à démontrer. Et plus que d’utilité, il faudrait parler de valeurs: de valeurs multiples et indispensables à la vie.
L’ALERTE D’UN RAPPORT
DU CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL DE …2005
L’importance de ce problème n’échappe pas à tous ceux qui réfléchissent à plus long terme que la durée de leur mandat.
Ainsi un rapport du conseil économique et social de… 2005 alerte sur la nécessité de sauver ces terres. Ce rapport de 93 pages intitulé « la maîtrise foncière, clé du développement rural : pour une nouvelle politique foncière » détaille les pertes de terres agricoles, en analyse les raisons et esquisse quelques scénarii pour les années à venir.
Ce rapport est LÀ.
Au passage on ne résiste pas au plaisir de reprendre un petit paragraphe concernant les terres arables:
« Les terres arables constituent une ressource naturelle rare pour l’ensemble de l’humanité. Leurs qualités agronomiques, si elles ont pu être améliorées par les pratiques culturales agricoles, résultent d’un processus de formation sur des millions d’années. Elles sont peu renouvelables….Le rythme de consommation, pour des besoins urbains ou d’infrastructures diverses, de ces meilleures terres apparaît peu compatible avec un développement durable. »
Une ressource rare, qu’il faut des millions d’années à constituer, qui profite à tous voilà ce que sont les terres arables et voilà pourquoi il faut les protéger.
C’est pourquoi le conseil économique et social précise en conclusion (p 16) « l’espace agricole ne peut pas être considéré comme une simple réserve foncière pour l’urbanisation »
Si le conseil économique et social insiste tant sur la préservation des espaces agricoles c’est que l’enjeu est d’importance. Il y va selon ce rapport « de la souveraineté alimentaire, gage de sécurité à long terme (p106), de la politique contre les risques naturels, de la lutte contre l’effet de serre, de la production de paysages et de cadre de vie (p110) .
C’est pourquoi est demandé « la prise en compte de la qualité agronomique dans une politique de préservation des espaces naturels ». Globalement tout ce que nous écrivons depuis des années trouve confirmation dans ce rapport officiel. Oui, mais après, on fait quoi ?
Intéressant sur le diagnostic, ce rapport n’est pas à la hauteur des enjeux qu’il énonce lui même.
Il n’évalue pas assez les résistances de tous bords. Le résultat est sans appel : depuis 2005 les terres agricoles se sont réduites encore plus, et les meilleures terres (arables) ont beaucoup été sacrifiées sur l’autel de la construction en tout genre (stade, logements, zones d’activités etc.)
UNE ÉTUDE DE LA DATAR de 2003:
QUELLE FRANCE RURALE POUR 2020 ?
Autre étude officielle et alarmante, celle de la DATAR de… 2003. Le rapport est LÀ.
La Délégation interministérielle à l'Aménagement du Territoire et à l'Attractivité Régionale (DATAR) prépare, impulse et coordonne les politiques d’aménagement du territoire menées par l’État.
Il est très « drôle » de lire aujourd’hui en 2012 ce travail de la DATAR réalisé en 2003 et qui se veut prospectif à l’horizon 2020.
Etre plus qu’au milieu du gué donne une idée très nette de vers là où on va.
Et parmi les trois scénarii envisagé par les experts, nous nous trouvons engagés dans… le pire. Le pire c’est : « le scénario du rural sous dominance urbaine »… « la France rurale est-elle condamnée à servir d’annexe urbaine, pour apporter aux villes ce qui leur fait défaut : les espaces résidentiels, les lieux d’implantation industrielle, les sites environnementaux ou de stockage des déchets urbains ? » questionnait ce rapport, en indiquant de nombreux aspects négatifs de ce scénario.
Ainsi « il pose problème en termes sociaux », il n’est pas « écologiquement durable », il « est porteur de tensions », il « est économiquement vulnérable ».
Malgré ces risques, c’est sur cette voie que nous sommes.
Et dans les Alpes Maritimes, les PLU en cours, dont celui de Levens qu’il faut refuser, confirment un aménagement pour les vingt années à venir, qui va droit dans le mur. Toutes les explications sont dans ce rapport. Tout est connu. Par exemple que les stocks alimentaires des supermarchés français (qui contrôlent prés de 90% du marché intérieur ) sont évalués à 3 jours d’autonomie nationale, etc. etc.
LA DOMINATION DE LA LOI DU MARCHÉ
Résumons nous. Toutes les informations sont connues, les rapports sont là, mais rien ne change. Et lorsque des acteurs, associations, syndicats, se battent pour la préservation des terres fertiles, au mieux on les écoute poliment, le plus souvent on les dénigre.
Bien sûr il y a l'engagement financier des citoyens auprès de "Terre de Liens" (leur site ICI), pour acheter des terres, des fermes et les retirer définitivement de la spéculation. Mais malgré la bonne volonté des citoyens, l'écho de plus en plus grand de cette démarche, les chiffres disent d'eux mêmes les rapports, déséquilibrés, entre les pertes et les sauvetages. Entre 2000 et 2010 une ferme sur quatre a disparu et dans le même temps les citoyens avec Terre de Liens en ont sauvé de 80 à 90.
Dans tous les cas les justifications « fumeuses » des élus ne servent qu’à masquer un seul déterminant : la loi du marché. Il y a même des élus cyniques (comme à Carros) qui expliquent que « vous n'avez qu'à les acheter les terres (au prix fort bien sûr) si vous voulez tant les protéger ». C'est une des nombreuses raisons qui justifient l'intervention du législateur.
Car jusque là en laissant faire, c’est la loi du marché qui a triomphé. C'est elle qui a engendré la disparition des terres, la spéculation. Et pas depuis un an ou deux, mais depuis les années 60/70.
La loi du marché, qui s’est appuyée sur une demande fondamentale des populations (nationales et étrangères), qu’est le désir de vivre à la campagne. Un désir de nature, mais de nature souvent aseptisée, sans fumier, coq, mouches, et sans paysan (ou juste ce qu’il faut pour pouvoir se nourrir soi). Ce désir de campagne a permis à des déserts de revivre un peu, mais a conduit des régions à forte attirance (Sud Est de la France) à se transformer totalement et perdre quasiment toutes les terres.
Il faut écouter ceux qui ont lutté dans ces années là pour comprendre une chose : ce combat là ne peut pas être gagné sans l’implication de l’État. Ou sans un événement imprévu, mais annoncé par certains, comme l'accélération des crises (voir ICI www.les-crises.fr)
Ainsi Paul Jorion (voir son blog ICI ) rappelle « Ce qui nous conduit à désirer le changement, ce n’est jamais l’image idyllique que nous projetons dans l’avenir d’un monde nouveau auquel nous aspirons, mais le caractère devenu intolérable d’un moment que nous vivons au présent. »
UNE LOI, UN ACTE POLITIQUE VOLONTARISTE
De nombreux acteurs, qui se battent localement pour défendre les terres, articulent leur engagement avec une réflexion qui devrait aboutir à une proposition de loi.
C’est une partie de la société civile, des associations, des syndicats (la Confédération Paysanne), des élus, qui unissent leurs efforts en ce sens.
Ce n’est pas dévoiler ce travail (en cours) que de dire:
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que ce qui prime dans la démarche, c’est la préservation des terres ; celles classées comme agricoles, comme celles qui sont déclassées et restent cultivables,
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et que pour préserver les terres la loi devra rendre plus forts ceux qui les défendent ; les associations, comme les processus de concertation. Ne pas consulter seulement pour avis, et les rendre moins contournables.
Il faut aussi renforcer les capacités des organismes qui interviennent en cas de vente des terres,
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rendre plus visible toutes les transactions,
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privilégier l’agriculture qui nourrit,
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rendre réellement dissuasive la spéculation,
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éviter de se servir de la question agricole à des fins d’urbanisation démesurées (comme à Levens : permettre 1000 m2 constructibles en des lieux protégés, pour faire quoi ?).
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étudier aussi les mécanismes de transmission et rendre moins dépendants ceux qui doivent prendre la retraite (les revaloriser)
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aider ceux qui s’installent, avec des contreparties,
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reconsidérer la question du foncier à fins de construction en tenant compte de la valeur agronomique des terres
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etc.
Il y a tout un chantier. Certains pays européens ont mis en place des mécanismes dont il faut s’inspirer, d’autres sont à inventer. Mais la seule vraie interrogation est la volonté politique. Est elle là? That is the question.